Colloque Ecologies Mobiles, 11 et 12 février 2020, Maison de la recherche de Paris 3- Sorbonne Nouvelle

Crédits affiche Bea Fremderman & PAO Sorbonne Nouvelle

 Colloque gratuit et ouvert à toutes et tous, publics curieux, étudiant.es, militant.es, scientifiques, journalistes, usager.es des technologies

« Time to start talking less about the technology for preventing global warming and more about the technology we’ll need to live with it. » (MIT Technology review, juin 2019)

Pour la huitième édition du colloque international du groupe de recherche « Mobile et Création » de l’IRCAV-Paris 3-Sorbonne Nouvelle, dans un contexte environnemental sinistré et de mobilisations dans lesquelles les smartphones jouent un rôle crucial pour témoigner visuellement et relayer l’information, nous avons pour visée de mettre en avant la nature matérielle de la culture mobile.

Ce sont les aspects géologico-techno-politiques des composants, des infrastructures et des usages qui seront mis à jour et débattus. La dimension ambivalente de la culture mobile sera dépliée en insistant sur sa face plus sombre, à savoir les aspects extractifs, énergivores, polluants et nocifs. Les crises humanitaires liées à l’exploitation de terres rares nécessaires à la technologie mobile (qui s’effectuent principalement dans les pays émergents et en développement) seront également abordées. En plus de documenter les controverses et conflictualités nombreuses que la culture mobile suscite depuis des années, en adoptant la méthodologie du « contre-faire » (Allard, 2015), le colloque comprendra des ateliers de recyclages et ré-usages en tout genre des déchets mobiles dans le cadre de groupes de travail associant designers, artistes et chercheur.e.s ayant oeuvré en France, en Afrique et dans le monde.

En s’attachant à la dimension matérielle de la culture mobile, il s’agit d’enrichir l’approche communicationnelle des usages et des contenus, en s’intéressant aux aspects géo-physiques des terminaux qui le rendent possible. Ce colloque a pour ambition de contribuer à développer une « écologie mobile » inspirée en partie de l’« écologie de l’attention », comme le propose Yves Citton. Une « écologie mobile » qui ne se contente pas d’accabler « l’addictif » comme le discours médiatique nous y a habitué, mais qui s’attaque également au problème de l’extractif.

Pour ce faire, il importe de déplier les conflictualités et controverses socio-techniques qui animent la problématisation écologique de la téléphonie mobile. Les jeux d’acteurs en présence, dans le domaine des relations entre environnement et téléphonie mobile, font intervenir tout autant des chercheur.es en sciences du vivant et sciences humaines, des régulateurs des autorités administratives, des associations humanitaires ou de techno-luddites, des designers et des makers. Il nous importe également de prendre en compte ces différents mondes et leurs membres afin d’élargir le champ de compréhension des enjeux du mobile sur une planète « endommagée » (Haraway, 2016).

Le colloque a donc pour ambition de mettre à jour la face quelque peu sombre de la culture mobile. De manière à rendre compte de l’ampleur de la problématique écologique du mobile, nous souhaitons saisir ce dark mobile dans les dynamiques de la conflictualité et de la controverse, mais également les tactiques de réparation et les stratégies de régulation. Le colloque invitera des intervenants dont les approches disciplinaires ou les engagements créatifs vont apporter des éclairages situés et précis afin de contribuer, durant ces deux journées, à construire une compréhension globale et contrastée de la problématique. Les modes d’intervention ainsi que les formats de session vont être conçus afin de favoriser les débats ouverts et collectifs sur des enjeux environnementaux et humanitaires qui concernent le plus grand nombre.

Comme c’est souvent le cas dans le cadre des colloques internationaux « Mobile et Création », c’est par la voie du faire et de la créativité que nous allons également procéder, et ce afin de contribuer collectivement au développement d’une « prise en main » des possibles dénouements de la crise environnementale vers une écologie mobile au sens propre.

Ce colloque contribuera  donc  au tournant anthropocénique des études sur le numérique en s’attachant non pas seulement à la vie privée des utilisateur.es ou aux prolétaires de l’IA mais aussi aux petites mains de l’extractivisme des terres rares et les damné.s d’un système planétaire endommagé.

Le colloque aura lieu en salle Athéna à la Maison de la Recherche de Paris 3, 4 rue des irlandais, 75005 Paris

Programme provisoire amené à être complété :

Mardi 11 février 2020
8h30- 9h Café d’accueil
9h15 – Ouverture
10 h – Keynote: Alexandre Monnin (Esc Clermont-Ferrand, Origens Lab) et Diego Landivar (ESC Clermont-Ferrand/Origens Lab) : « L’obsolescence à programmer ou la dernière application mobile ? »
11h – Session 1 « Controverses, soutenabilités, régulations »
Francis Chateauraynaud (EHESS), Josquin Debaz (EHESS), François Huguet (TélécomParis), Pierre-Jean Benghozi (École Polytechnique)
13h – Pause déjeuner
14h – Session 2 : « Réparer, maintenir: les cultures de la réparation »
Nicolas Nova (HEAD, Genève) et Anaïs Bloch (HEAD, Genève), Cyprien Gay et Caroline Lemerle (Repair Café du 5ème), Nadine Benichou, A propos du « right to repair » (Mobile Caméra Club, Erwann  Fangeat (Ademe, Direction Economie Circulaire et Déchets), le collectif d’artistes Jérôme Saint Clair et Benjamin Gaulon du Internet of Dead Things Institute (IoDT).
17h- Pause goûter
18h-19h : Débat autour du numéro de la revue Multitudes « Est-il trop pour l’effondrement » avec les contributrices et contributeurs animé par Cyprien Tasset (Origens Lab).
19h- Atelier avec le Repair Café à la mairie du 5ème arrondissement
(Pour cet atelier, vous pouvez amener des objets à réparer)
Mercredi 12 février 2020
8.30- 9h – Café d’accueil
9h30 Keynote: Yves Citton (Université Paris 8): « Le problème des mauvaise herbes : coexistences conflictuelles et partage des incomplétudes »
10h30 -12h30 : Session 3: « Mobiles, crises écologique et humanitaire »
Table ronde « Mobiles, crises écologique et humanitaire » : Yasmine Abbas (Université de PennSylvanie) et DK Osere-Asare, Sara Creta (Institut of Futur journalism, Dublin), Eléonore Héllio (Kongo Astronauts), José Halloy ( Université de Paris, LIED UMR 8236).
Projection du film de Elénore Ellio, « Postcolonial Dilemna #Track4 (Remix mix) within the multidimentionnal world of Bebson Elemba », 2019
13h – Pause déjeuner
14h – Conférence participative, « Mobile et environnement, le mobile comme capteur, initiation à la captologie citoyenne (Vincent Dupuis, Sorbonne Université et Collectif Air Citizen)
16h – Atelier « Design? DIY et écologies mobiles »  avec Justine Hannequin,  Xavier Auffret & Romain Chanut.
(Pour cet atelier, vous pouvez amener vos vieux appareils et chargeurs mobiles)
17h30 : rendu des ateliers, table ronde collective : déconstruire et après  ? (défuturer, recycler, réparer, transformer…).
19h – Clôture
Une curation autour de la thématique « Ecologies mobiles » sera réalisée par la galerie Mobile Caméra Club.
Le colloque est programmé par Laurence Allard (MCF, SIC, Ircav-Paris 3) et organisé par Laurence Allard (MCF, SIC, Ircav-Paris 3), Gaby David (chercheuse Ircav-Paris 3), Roger Odin (PU émérite, Paris 3-ircav), Laurent Creton (PU, Paris 3-Ircav) avec l’aide de Clémence Allamand (docteure, Ircav-Paris 3) et Charlotte Péluchon (doctorante, Ircav-Paris 3).

Colloque International
« Ecologies Mobiles, 5-6 décembre 2019, Paris

 

« Time to start talking less about the technology for preventing global warming and more about the technology we’ll need to live with it. » (MIT Technology review, juin 2019)

 English version

Pour la huitième édition du colloque international du groupe de recherche « Mobile et Création », dans un contexte environnemental sinistré et de mobilisations dans lesquelles les smartphones jouent un rôle crucial pour témoigner visuellement et relayer l’information, nous avons pour visée de mettre en avant la nature matérielle de la culture mobile.

Ce sont les aspects géologico-techno-politiques des composants, des infrastructures et des usages qui seront mis à jour et débattus. La dimension ambivalente de la culture mobile sera dépliée en insistant sur sa face plus sombre, à savoir les aspects extractifs, énergivores, polluants et nocifs. Les crises humanitaires liées à l’exploitation de terres rares nécessaires à la technologie mobile (qui s’effectuent principalement dans les pays émergents et en développement) seront également abordées. En plus de documenter les controverses et conflictualités nombreuses que la culture mobile suscite depuis des années, en adoptant la méthodologie du « contre-faire » (Allard, 2015), le colloque comprendra des ateliers de recyclages et ré-usages en tout genre des déchets mobiles dans le cadre de groupes de travail associant designers, artistes et chercheur.e.s ayant oeuvré en France, en Afrique et dans le monde.

En s’attachant à la dimension matérielle de la culture mobile, il s’agit d’enrichir l’approche communicationnelle des usages et des contenus, en s’intéressant aux aspects géo-physiques des terminaux qui le rendent possible. Ce colloque a pour ambition de contribuer à développer une « écologie mobile » inspirée en partie de l’« écologie de l’attention », comme le propose Yves Citton. Une « écologie mobile » qui ne se contente pas d’accabler « l’addictif » comme le discours médiatique nous y a habitué, mais qui s’attaque également au problème de l’extractif.

Pour ce faire, il importe de déplier les conflictualités et controverses socio-techniques qui animent la problématisation écologique de la téléphonie mobile. Les jeux d’acteurs en présence, dans le domaine des relations entre environnement et téléphonie mobile, font intervenir tout autant des chercheur.es en sciences du vivant et sciences humaines, des régulateurs des autorités administratives, des associations humanitaires ou de techno-luddites, des designers et des makers. Il nous importe également de prendre en compte ces différents mondes et leurs membres afin d’élargir le champ de compréhension des enjeux du mobile sur une planète « endommagée » (Haraway, 2016).

Le colloque a donc pour ambition de mettre à jour la face quelque peu sombre de la culture mobile. De manière à rendre compte de l’ampleur de la problématique écologique du mobile, nous souhaitons saisir ce dark mobiledans les dynamiques de la conflictualité et de la controverse, mais également les tactiques de réparation et les stratégies de régulation. Le colloque invitera des intervenants dont les approches disciplinaires ou les engagements créatifs vont apporter des éclairages situés et précis afin de contribuer, durant ces deux journées, à construire une compréhension globale et contrastée de la problématique. Les modes d’intervention ainsi que les formats de session vont être conçus afin de favoriser les débats ouverts et collectifs sur des enjeux environnementaux et humanitaires qui concernent le plus grand nombre.

Comme c’est souvent le cas dans le cadre des colloques internationaux « Mobile et Création », c’est par la voie du faire et de la créativité que nous allons également procéder, et ce afin de contribuer collectivement au développement d’une « prise en main » des possibles dénouements de la crise environnementale vers une écologie mobile au sens propre.

Ce colloque contribuera  donc  au tournant anthropocénique des études sur le numérique en s’attachant non pas seulement à la vie privée des utilisateur.es ou aux prolétaires de l’IA mais aussi aux petites mains de l’extractivisme des terres rares et les damné.s d’un système planétaire endommagé.

Le colloque est organisé par Laurence Allard (maître de conférences, IRCAV-Paris 3/Lille), Gaby David (chercheuse, IRCAV-Paris 3), Roger Odin (Professeur émérite, Paris 3-IRCAV), Laurent Creton (Professeur des Universités, Vice-Président à la Recherche, Paris 3-IRCAV) et Charles Edgar MBanza (IRCAV-Paris 3)

Il aura lieu en salle Athéna à la Maison de la Recherche de Paris 3, 4 rue des irlandais, 75005 Paris

Le programme définitif sera bientôt communiqué ! En attendant, save the date:) La présence de Francis Chateauraynaud, Josquin Debaz, Jean-Pierre Benghozi, Nicolas Nova, Alexandre Monnin, Diego Landivar, Justine Hannequin, Cyprien Gay et Caroline du Repair Café-5ème  est déjà confirmée !

Le site du groupe de recherche « Mobile Création » (IRCAV-Paris 3) 

Mouvement des gilets jaunes et mobiles : « samedi, j’ai insurrection »

A l’invitation de  Philippe Couve, j’ai partagé à l’occasion des Rencontres de la vidéo mobile du 7 février 2019, un  bref panorama des usages du mobile dans le mouvement des gilets jaunes! A compléter avec cette autre analyse « Comment facebook est devenu la télévision des gilets jaunes ».

Bonne lecture à vous !

rencontres vidéos mobiles 2019 def

L’art de la capture d’écran, de Richard Prince à l’auto-screen

Une polémique enfle au sujet du travail de  Richard Prince exposant pour des centaines de milliers de dollars des photographies capturées sur Instagram. Elle se cristallise notamment autour de la question juridique puisque l’artiste plaide le « fair use » (usage loyal à caractère transformatif) pour justifier la valeur artistique de son geste d’appropriation mais qui est ressenti par certains auteurs des photographies capturées comme de la simple prédation.

Dans ce blog consacré à décrire empiriquement la culture mobile sur la base de collecte de corpus et d’entretiens, nous voudrions aborder la controverse Richard Prince  en nous focalisant sur le type de contenu au coeur de cette polémique, à savoir non pas des photographies mobiles mais des captures d’écran agrandies et exposées.

En effet, ce contenu « capture d’écran » devient, selon nous, crucial à l’heure où nos existences connectées peuvent s’apparenter à un ready made by mobile. A travers la « capture » de soi, des autres, du monde  dans le flux de nos conversations digitales créatives mixant sur le vif des images et des mots tout au long d »une journée, la banalité de nos vies quotidienne se trouve théâtralisée, mise en scène, racontée… bref se trouve transfigurée tel un objet trivial promu oeuvre d’art comme « ready made » par l’artiste Marcel Duchamp.

Des appropriations lucratives de Richard Prince au corpus endogène que tout praticien du mobile confectionne et partage tout au long d’une journée, l’art de la capture d’écran reste à décrire dans un contexte culturel foncièrement ambivalent entre le marché de l »art (ses galeries, ses critiques, ses artistes) et marché de l’expressivisme (ses plateformes, ses GAFAM, ses talents).

La capture d’écran comme art spéculatif : l’appropriation art selon Richard Prince

La controverse « Richard Prince » de juin 2015 débute suite à l’exposition d’impressions grand format de captures d’écran de photographies mobiles postées par des utilisateurs d’Instagram  à la Frieze Art Fair à New York et notamment d’un portrait de femme vendu pour 90 000 dollars, Doe Deere par ailleurs créatrice d’une marque de cosmétiques. Cette dernière a reposté sur son compte une photographie de son portrait capturé avec ce commentaire aux hastags significatifs de la perception d’un marché de l’art contemporain spéculatif (#wannabuyaninstagrampicture) :

« Figured I might as well post this since everyone is texting me. Yes, my portrait is currently displayed at the Frieze Gallery in NYC. Yes, it’s just a screenshot (not a painting) of my original post. No, I did not give my permission and yes, the controversial artist Richard Prince put it up anyway. It’s already sold ($90K I’ve been told) during the VIP preview. No, I’m not gonna go after him. And nope, I have no idea who ended up with it! #lifeisstrange #modernart #wannabuyaninstagrampicture. »

En septembre/octobre 2014, à la Gagosian Gallery de New York, Richard Prince avait déjà  exposé des clichés retouchés capturés initialement posté sur le réseau social de photographies mobiles qui s’étaient vendus pour certains à 100 000 dollars.

A noter que les photographies dont la valeur est jugée bonne à être captée sont par avance signées par l’artiste qui va les commenter par quelques mots ou encore des emojis. L’art comme ready made reste  plus que jamais une question de nom propre comme Thierry de Duve l’avait démontré dans « Au nom de l’art » (1989).

Les commentateurs du travail de l’artiste contextualisent ces expositions de captures de photos d’anonymes en les replaçant dans une oeuvre débutée dans les années 70 autour du genre appropriation art consistant à « re-photographier » des photographies existantes. Parmi ces séries d’images prélevées dans la culture populaire, citons la photographie de l’actrice Brooke Shields  ou le cow boy de la publicité Malboro. Les selfies, portraits de soi dans le monde réalisé par l’intermédiaire de son mobile, constituent pour Richard Prince  aujourd’hui le terrain d’expression idéal de cette culture visuelle populaire dans un sens renouvelé puisque ce sont en effet des gens ordinaires qui se photographient par eux-mêmes.

Dans son essai « Appropriation Art » de 1978, Richard Prince  a décrit le mode de réception de ces  « images d’images » proche de l’état de « rêve éveillé » pointé par le sémiologue Christian Metz à propos du cinéma dans Le signifiant imaginaire (1975). Cette allusion à un « état affaibli de vigilance » trouve un écho particulier dans cette économie de la distraction développée par les réseaux socio-numériques et le déluge informationnel dans lequel nous naviguons sans grande attention  :

« I think appropriation has to do with the inability of the author slash artist to like his or her own work, period. Especially if the work is all theirs, period. I think it’s a lot more satisfying to appropriate, comma, especially if you are attempting to produce work with a certain believability, comma, an official fiction let’s say. If you take someone else’s work and call it your own, comma, you don’t have to ask an audience, quote, to take my word for it, unquote, period. It’s not like it started with you and ended up being guessed at. The effect you want to produce is not that different from what an audience sometimes experiences when viewing a good movie. And that’s what — and then in quotes — somebody named Christian Metz called a general lowering of wakefulness.« 

D’un point de vue juridique, l’artiste plaide le fair use – c’est à dire un usage loyal d’un contenu préexistant de part un apport transformatif et des conditions de publication qui ne pénalisent pas la diffusion première – pour justifier cette oeuvre qui interroge dans la lignée du pop art le caractère reproductible de l’oeuvre d’art à l’ère de la culture de masse.

Parfois cet usage loyal ne saute pas aux yeux des juges comme le procès perdu en 2013 suite à son utilisation des photographies de Patrick Cariou sur les rastas jamaïcains, retravaillées par Richard Prince en collages sur toiles, graffités et peints. Jugement en partie renversé en appel.

Une autre forme de contestation du caractère loyal de la captation d’images par Richard est proposée par les Suicides Girls, qui consiste à vendre des captures d’écran de l’exposition à la Frieze Art Fair pour le prix de 90 euros et de reverser ces sommes à des organisations comme l’Electronic Frontier Fondation, militant pour le respect la privacy sur internet. Cet activisme cible ici la côté de l’artiste sur un marché de l’art spéculatif.

On le voit la question n’est pas tant juridique que socio-esthétique avec cette valorisation inattendue de la capture d’écran.  Il est assez étonnant d’établir un rapprochement avec cet « Art Work by Anonymous« , capture d’écran d’un post sur 4chan (en août 2014)  vendue 90 900 dollars sur eBay. Ce screenshot consistait en cette sentence : « Avant, l’art représentait quelque chose à chérir, aujourd’hui, absolument n’importe quoi peut être de l’art. Ce post est de l’art ».  Comme le faisait remarquer avec humour le philosophe Daniel Pinkas enseignant à l’HEAD de Genève, il semble que le marché de l’art se soit finalement aligné sur les jeux d’enchères du site de commerce en ligne Ebay pour valoriser l’art de la capture d’écran à hauteur de 90 000 euros.

La vie sous capture d’écran 

La valeur atteinte par des captures d’écran au sein du marché de l’art n’est peut-être pas de façon conjoncturelle attachée aux travaux appropriatifs de Richard Prince.

Au sein de la prose abondante sur le numérique, peu de cas est fait de ce qui est à proprement parler un  « écrit d’écran » (Emmanuel Souchier) dont les usages sont trivaux et multiples.

Photographie et SMS ont pu faire l’objet de travaux nombreux d’analyse en tant qu’ils viennent prolonger et renouveler  les pratiques de l’écrit et de l’image.  Les arts de faire des praticiens du numérique en matière de « capture d’écran » sont encore trop peu investis à notre connaissance.

Or ils possèdent une actualité du point de vue des usages conséquente et qui s’éloigne quelque peu d’une fonction de co-production de la factualité bien connue de nous tous (échange de recettes, de noms d’applications etc.) comme ici. La capture d’écran est ici moins un contenu en soi qu’une forme de duplicata.

Une première explication tiendrait en un déterminisme technologique renvoyant la montée du contenu capture d’écran (« screenshot ») dans nos corpus d’user generated content notamment chez les plus jeunes, au développement des pratiques éphémères de « snap » favorisées par l’application Snapchat.

L’un des usages juvéniles de cette application de composition d’un agencement créatif d’images-textes-dessins est en effet de capturer le moment présent et de le transmettre sur un temps limité (de 10 secondes à 24 heures selon les fonctionnalités).

Le mobile comme « technologie du soi » (Michel Foucault) supportant l’individuation et la socialisation des plus jeunes en tant qu’il est tel leur compagnon d’existence, rend possible en effet des pratiques photographiques et textuelles agentives et automédiales, permettant d’agir sur soi et ses affects à travers des expressions digitales.

De ce fait, quand le « snap » devient une routine existentielle chez les mobile born qui vont photographier comme ils respirent, comme ils regardent, comme ils ressentent, le fait de réaliser une capture d’écran en constitue le pendant temporel, pour notamment « faire des dossiers » dans lesquels le screenshot devient une nouvelle monnaie d’échange symbolique. On échange ainsi des captures d’écran dans les cours des collèges et lycées comme autrefois on échangeait ses trésors (billes de verres, billets doux…).

La virtuosité dans ce scénario socio-technique réside d’ailleurs tout autant dans la faculté de composer  une capture d’écran d’un snap que de produire des images-textes prises sur le vif, en un coup d’oeil.

Admirer son prof en secret c’est réussir à le prendre une photo, la commenter par des emojis et l’envoyer à ses meilleures amies qui vont en réaliser une capture d’écran et la tweeter, illustrant les nouvelles tyrannie de la publitude à l’âge de la vie sous capture d’écran.

La pratique du « regram » sur Instagram, qui consiste à reposter des photographies notamment sous la forme de capture d’écran – en l’absence de fonctionnalité  interne -constitue également un terrain fécond pour le montée du screenshot comme contenu.

Ce ne sont pas seulement d’ailleurs les « insta » qui peuvent être regramés mais l’on observe au sein de la panoplie d’écrans et de services entre les mains des utilisateurs des circulations comme des snaps capturés et montés avec un regram comme cet exemple l’illustre issu d’une initiative étudiante de maraude auprès des SDF de la ville de Lille.

Déjà esquissé dans un billet précédent consacré à la vidéo conversationnelle et à ces pratiques de captation en live ou en boucle qui agrémentent la vie quotidienne des plus jeunes et transforment des activités routinières en défi ludique (Dubsmash, Vine, Periscope, Snapchat), il nous est apparu que la « vie capturée », c’est à dire photographiée, vidéographiée, textotée  constituait désormais un registre d’existence qui s’accomplit désormais non pas devant un écran mais avec des écrans scripteurs.

Faire de sa vie un ready made by mobile n’est pas toujours une modalité d’être au monde partagée par tous. Comme me le décrit cette maman factrice du Nord Pas de Calais de 45 ans avec perplexité  « Ma fille, elle vit pour son téléphone. Elle se tape des poses [seflies] entre deux fourchettes et elle envoie à ses copines. Moi je lui dis tu manges froid ou tu arrêtes ».

Et dans le cadre d’une une existence connectée régie par l’im-médiaté des signes, dans le contexte d’une vie sociale médiée par des écrans-écritoires, ne peuvent s’échanger en effet que des images d’écrans.

Chez les plus jeunes, il devient concevable de « vivre et filmer/photographier sa vie » dans le même temps, de la documenter, de la narrativiser, bref de la transformer en un « ready made by mobile ».

Cette vie mise en scène en temps réel peut alors se monétiser comme le petit commerce de soi-même dans l’économie créative des GAFAM, la nouvelle scène de recrutement des talents producteurs de contenu du numérique.

Ce lycéen de 17 ans en terminale L de Paris, qui a ouvert une chaine Youtube,  réalise des vines, confectionne des photo-montages sur Instagram et poste des sons sur Soundcloud et rêve de vivre de toutes ses créations sans savoir trop comment (« par la pub j’imagine » me répond-t’il dans le cadre d’un entretien par SMS), raconte comment il fait des vidéos avec son smartphone toute la journée  « comme sa, dans l’enceinte du lycée mais pas pendant les cours ».

Ces technologies de capture du réel qu’ont représenté en leur temps d’invention la photographie, le cinéma, la vidéo, la télévision s’éloignent du paradigme de la représentation – c’est à dire d’un imaginaire morbide de préservation de l’existence par l’apparence décrit par André Bazin dans « Qu’est-ce que le cinéma » – au profit d’un usage de présentification au monde sous x apparences (en chair et en os, en images, en écrit, en boucle…) lorsque leurs fonctionnalités ont été intégrées au sein du terminal mobile, technologie de communication (à distance, en co-présence, avec soi-même).

Au sein de cette existence et ses interactions éprouvées dans des jeux de langage transécraniques et transmédiatiques, la capture d’écran fige la mise en abyme de soi comme ici  ce selfie sur vine reposté sur une chaine Youtube par une jeune lycéenne s’essayant à la shortcomisation, cette mise en sketch de l’existence sur le modèle des Norman, Cyprien et autres talents dits numériques.

Exprimer un état intérieur par l’intermédiaire d’une capture d’écran d’un jeu vidéo auquel on est train de jouer ou comme ci-dessous son émotion suite au vote d’une loi sur la surveillance que l’on estime problématique vis-à-vis de la vie privée en capturant un stream video et y ajoutant des verbatims avec un logiciel type Fireworks, les usages expressifs de la capture d’écran sont désormais nombreux et divers.

On observe même des usages revendicatifs des captures d’écran des capteurs d’activités natifs dans les smartphones pour mettre en avant de mauvaises conditions de travail. Les données du soi quantifié et capté peuvent être détournées  en un « tract post-digital » par une capture d’écran publiée sur des réseaux socio-numériques.

De l’auto-screen au screenshort : capture d’écran vs lien hypertexte ? 

La notion « d’auto-screen » peut également être invoquée comme nouvelle pratique citationnelle chez les jeunes thésards qui vient démontrer un hack d’usage observable à plusieurs reprises sur twitter de contournement de la limite des 140 caractère par l’ajout d’une capture d’écran comme image sur l’interface de Twitter.

La capture d’écran d’un texte à usage de citation est le plus souvent réalisée avec les moyens du bord comme par exemple prendre une « photographie » mobile d’un article – une façon créative de digitaliser le réel et d’assurer la continuité entre anciens et nouveaux médias.

Cette capture d’écran ci-dessus a été ainsi réalisée par l’intermédiaire de Gimp suivant les explications de son auteur journaliste à Rue89, tandis que d’autres utiliseront un raccourci clavier  du type « Ctrl-C Ctrv sur un document Word et saisie partielle d’écran shift cmd 4 » (A., 35 ans, universitaire, banlieue parisienne) pour citer un mail sur un compte Facebook. Comme l’exprime une screenshoteuse (L., 30 ans, juriste, Paris) « c’est du bricolage ».

Bricoler un ersatz de lien par une image d’écran, copier-coller des extraits d’un mail, les images d’écrans s’inscrivent dans cette remixabilité généralisée qui constitue la prose du web pour les praticiens du numérique dont la ligne de conduite pourrait être « express yourself by yourself! »

Avec la proposition de fonctionnalité native sur le système de publication Medium.com de « screenshort » pour partager des extraits d’articles sur d’autres réseaux sociaux, la capture d’écran semble faire concurrence au lien hypertexte au profit d’une textualité qui enchâsse les signes au sein d’un même énoncé comme ce tweet accompagné d’un « screenshort », d’une capture d’un extrait d’article.

Des images d’images de Richard Prince aux images de textes vernaculaire, du troll de l’art contemporain aux usagers tacticiens du numérique, un art de la capture d’écran s’affiche indéniablement au grand jour.

Ce qui n’exclut pas de penser que si  Richard Prince est un troll de notre époque re-marchandisant dans le monde des galeries d’art contemporain ce qui permet à des GAFA de produire de la valeur à partir d’expressions photographiques gracieusement créées par des utilisateurs d’Instagram, c’est encore une fois la fondamentale ambivalence de la culture de notre époque que nous devons documenter au plus prés des pratiques pour ne pas tout à fait en désespérer.

MISE A JOUR : De la capture d’écran aux NFT

Dans le sillage du développement des cryptomonnaies et des Non Fongible Token des années 2020-2021, la mannequin Emily Ratajkowski, dont l’image été « appropriée » par Richard Prince a transformé ou tokenisé la photographie de l’artiste qu’elle a revendu aux enchères en mai 2021. Une autre forme de protestation sur la problématique de l’objectification des femmes…

Une autre réponse féministe et créative à l’Appropriative Art de Richard Prince est encore à l’oeuvre chez l’artiste Albertine Meunier à travers sa série de NFT aux titres ironiques.

Deux pouces, des apps et des emoji, Anne Horel un nouveau talent numérique

Dans le cadre de ce blog de recherche portant sur la culture mobile, il importe de rendre compte de l’émergence d’une scène créative depuis les usages des terminaux mobiles, de leurs fonctionnalités (textos, photos, vidéos, emojis) et  de leurs services (applications, plate-formes etc.)

Parmi ceux qu’on désigne comme les nouveaux « talents numériques », cette figure culturelle de l’ère digitale et de ses publics expressivistes et remixeurs, nous avons eu le plaisir de rencontrer en mars 2015, Anne Horel, GIF artiste dont la panoplie créative mobile ne cesse de s’étendre avec virtuosité.

 

La créativité mise en applications

Après une année d’hypokhâne et une admission en Ecole d’Art à Cergy, Anne Horel s’empare d’abord des GIF et de leur potentiel artistique puis découvre à son lancement l’application de vidéo mobile à 6 secondes, Vine. Pour une GIF Artiste et selon les propres termes d’Anne Horel, « Vine, c’est jouer sur la boucle du GIF. J’ai bouclé la boucle ». De par son activité de veille à l’émission « L’Oeil de Lynx« , elle a été amenée à veiller sur ce qui se faisait autour de cette application. Elle cherche depuis à contribuer à la constitution d’une « communauté Vine » autour de « vineurs créatifs ».

Cette communauté créative s’institue selon elle  « un peu sur le principe d’une école d’art : on aime le contenu de quelqu’un, on se lie, on s’envoie nos brouillons ». Parmi ces vineurs, il y a évidemment, sur le modèle des youtubers, les comédiens du genre Stand Up, auteurs de  mini-skectches pour lesquels Vine est intéressant à explorer car « moins chronophage qu’ internet. »

 

 

Autre application mobile à travers laquelle s’exerce le talent d’Anne Horel, Snapchat dont les nombreux détournements de la promesse d’une « transaction éphémère » ont fait l’objet de nombreux billets de ce blog. Suivant la problématique du mobile comme technologie culturelle, Anne Horel considère la fonction « Story » de Snapchat  comme « un super outil de tourné monté grâce à la jonction des séquences entre le début et la fin de ce qui a été tourné. »

Un usage peu connu pour les créatifs mobiles de l’application Snapchat est également d’ être  » la corbeille de Vine. Tout ce qu’on poste pas sur Vine, on le poste sur Snapchat ».

Cette fonction « corbeille » serait à reliée avec le parcours d’usage de l’application proche du « zapping » de Tinder. « Sur Snapchat, tu zappes comme sur Tinder » décrit Anne Horel.

Du point de vue de la sociologie des pratiques numériques, cette logique d’usage peut être observée de fait chez les jeunes adoptants de la culture mobile. Le terme anglais  « thumbstopper » a été ainsi forgé pour signifier ce geste consistant à arrêter de scroller  les contenus sur son écran. « Zapping », « random », « next », « nope » autant de mots pour désigner cette activité passée devant les écrans dont le propre est justement de ne pas lire de ne pas voir.

A l’écoute de la description de son travail créatif, il semble crucial de prendre en compte la panoplie créative d’Anne Horel  comme un continuum d’applications mobiles qui possèdent chacune une singularité : « Tout est connecté on peut être fort sur Vine, Snapchat et Instangram, c’est un système de vases communicants » nous explique t’elle.

Et la fonction de « réseau social » de ces applications, qui permet d’agréger une » communauté de talents », est plus à considérer comme faisant office de studio créatif. Ce qui est mis en réseau c’est aussi la créativité et son outillage. Ici le format « réseau social mobile » est tout autant opérant du côté de la production et de la création et pas seulement du côté de la circulation sociale.

Une économie créative du mobile, ses nouveaux intermédiaires et la nécessité de bonnes pratiques

Ce que permet de pointer également le parcours d’Anne Horel est  l’émergence d’une économie créative du mobile au sein de laquelle elle souhaite impulser de « bonnes pratiques. »

Il existe ainsi une fonctionnalité sur Snapchat permettant de payer par la monnaie Snpacash le visionnement des « mini show privés » créés par les snapchatteurs eux mêmes sur les chaînes Discovery de Snapchat ( Fusion, MTV, Cosmopolitain, CNN…).  Le prix à faire payer exigible par ces nouveaux talents numériques dépendra du nombre de followers. « C’est un vrai marché, avec des conventions comme n’importe quel autre marché financier »  constate Anne Horel.

Ainsi, des chiffres pour tel vine suivant tel nombre de followers telle marque telle chaîne circulent entre vineurs. Ce qui pousse Anne Horel à la nécessité de monter un collectif de « french viners » à des fins de transparence des prix . Elle poursuit « passé 30 ans, c’est important que les gens qui créent des choses sur les réseaux sociaux jeunes coopèrent un minimum pour construire une communauté transparente. Il faut montrer  que c’est un travail. Les jeunes stars, surtout aux USA, se montrent en perpétuel fêtard et des milliers d’ados qui suivent ces jeunes stars pensent qu’en faisant des Vine, on devient millionnaires sans avoir rien à faire. »

Cette économie créative du mobile structurée par les plate-formes mobiles – appartenant le plus souvent aux GAFA – se construit à travers un tropisme étatsunien, les USA d’où viennent les appels téléphoniques qui la contactent afin de créer des contenus (GIF, Story, Vine) pour telle ou telle marque.

Cette intermédiation des talents numériques, au profit des marques qui peuvent financer des campagnes réalisées par des instangramers ou des vineurs dits « influents », passe donc par les plateformes mobiles des GAFA (Facebook/Instagram, Twitter/Vine) mais suppose également un ensemble d’agences qui se spécialisent sur le Creative Content.

Cette économie créative mobile reste à décrypter comme nous le proposons avec Anne Horel, Franck Jamet, Pierre Cattan Jean Fabien et Adrien Brunel dans le cadre d’une rencontre-débat que nous organisons avec Arts Mobiles le 29 avril 2015.

 

A noter que cette économie du talent numérique est basée sur les technologies de l’influence notamment sur l’analyse des graphes sociaux délimitant une topocratie et non une méritocratie suivant la distinction du chercheur César Hidalgo – c’est à dire une concentration de noeuds de réseaux par quelques hubs. Elle repose sur le nouveau rôle pris par un  public de consommateurs dans la co-diffusion des marques des produits par  une logique d’identitification à ses semblables, d’authentiques « autres que soi-même », qui est le ressort même de la culture de la célébrité des youtubeuses.

La fanbase entre like et follow, la plateforme comme incubateur d’audienciation, la compétition dans la créativité

Si une « french vine economy » peine à se mettre en place, l’économie créative mobile repose sur une nouvelle figure de l’audience, la fanbase. Ce public de fans qui « follow » et « like » vient exprimer son goût pour tel ou tel talent mobile par le biais d’un abonnement à un compte et d’un geste interfacé d’appréciation.

Cette nouvelle forme d »audience, se produisant comme telle à travers son activité expressive que nous avons désigné en 2009 par audienciation – est comptabilisé par Anne Horel comme un critère de jugement sur son propre travail. « Les Vine que j’ai posté sur les césars, les gens n’ont pas aimé, j’ai eu très peu de like. Un bon Vine pour moi c’est 10 000 boucles et 300 likes. »

Parmi les compétences des talents numériques que l’économie créative cherche faire grandir à l’ombre des réseaux socio-mobiles, le talent de « calcul communicationnel » est primordial et les boucles de la reconnaissance – ie le nombre de fois que le Vine tourne – sont comptées avec intérêt voire une certaine anxiété sociale. « Les followers, c’est la première compétition. Lui il a une énorme fanbase, 24 000 followers sur Instangram et 2 000 sur Snapchat » nous indique t-elle avec précision à propos d »un vineur français.

Pour Anne Horel, l’un des attraits de Snapchat est que l’on visualise « l’activité de l’audience, si les fans ont fait des captures d’écran et s’ils regardent. Ensuite on reçoit aussi  des messages privés ». Pour elle, « c’est une façon de connecter avec son audience. L’autre fois j’ai eu une grosse loose sur une histoire d’amour que j’ai raconté sur Snapchat et j’ai dis « donnez moi des conseils » et là j’ai reçu des conseils en message. Snapchat c’est mon journal intime maintenant. Vine, Snapchat ce sont tout à la fois des outils , des langages, des réseaux sociaux, c’est brillant. »

Créer du bout des doigts : la virtuosité digitale existe !

Le travail créatif d’Anne Horel suppose de prendre en compte toute la panoplie digitale qui est à la fois transécranique et transmédiatique par nature. Ecrans, terminaux, fonctionnalités, services, formats, contenus se trouvent pratiqués dans un grand mix créatif.

Ainsi, Anne Horel peut effectuer un montage préalable sur Final Cut, se l’envoyer par mail, l’enregistrer dans la pellicule de son téléphone, pour aller ensuite l’uploader sur Vine afin de le mettre en boucle.

Ou encore lorsqu’elle réalise une story sur Snapchat, « pour acculturer à la culture française mon audience qui est plutôt américaine », elle réalise un mixtape associant gif animé et une liste de sons, qu’elle envoie sur wetransfer. Pendant ce temps, « les followers prennent des captures d’écran du lien que je mets sur snapchat, ils font des captures d’écran et le téléchargent sur we transfer ».

Ce hack d’usage est typique, selon nous, des tactiques des praticiens du numériques qui usent et abusent de la fonctionnalité « appareil photo » pour réaliser des images-textes dès plus inventives, comme nous l’avions présenté dans « Téléphone Mobile et Création« .

Cette créativité s’avère également diffuse à l’instar du rôle de compagnon d’existence qu’est devenu le téléphone mobile pour tous et notamment pour Anne Horel. « Je passe ma vie avec mon téléphone. Je fais des photos tout le temps. Et je fais les images sur mon téléphone avec les applis. Puis je vais poster sur plusieurs sites histoire de ne pas poster tout sur Instangram mais de dispatcher. Je fais un vine par jour au moins et si pas le temps j’uploade un snap ou sinon un gif. »

Cette création mobile vient également occuper des temps morts des arts numériques quand elle attend l’effectuation « des rendus vidéo « sur un gros ordi et donc soit je vais sur mon petit ordi faire une recherche ou alors je compose mes images sur mon téléphone en attendant que le rendu se termine. »

Et comme nous le montre cette vidéo prise lors de notre entretien, c’est avec virtuosité dans sa gestuelle, grâce un art de faire à la main, avec ses deux pouces qu’Anne Horel compose ses images mobiles à l’aide d’une palette créative d’applications comme Kamio ou 99ctsbrain. Cette activité de création pleinement digitale (au double sens de numérique et de tactile) qui se joue des images et réinvente le collage et le mixage des signes (images, emojis, stickers sons) et des écrans est un spectacle en tant que tel.

 

 

Merci à Anne  Horel et bravo ! Vous pouvez la retrouver au sein de sa constellation numérique et mobile sur   Twitter, sur Instangram, sur Vine sur Youtube  sur Tumblr et sur Soundclound

 

© Anne Horel, Emoji Art History, 2014

 

Entretien avec CultureRP sur la culture mobile, le picture marketing, les talents numériques etc

  Culture RP a réalise un entretien dans lequel je développe le rôle du mobile comme média de la voix intérieure et comme support de la créativité des écritures ordinaires contemporaines, la reconnaissance des talents numériques photos et vidéos sur YouTube et Instangram et les nouveaux acteurs de la consécration culturelle et leurs stratégies (picture marketing) puis de la nécessité de s’emparer du Big Data par des citoyens outillés d’objets connectés (les mobiles, les wearable devices, les capteurs…). Un grand merci à Marc Michiels  qui m’a invité à m’exprimer et à ses stimulantes questions. C’est à lire par ici . Bonne lecture !

 

 

 

 

[MAJ] La vidéo conversationnelle : jouer avec les images, faire de sa vie un ready made by mobile (vine, snapchat, dubsmash, meerkat, periscope, riff etc.)

Depuis quelques temps,  on peut observer l’émergence d’expressions et d’interactions digitales par le biais de vidéos mobiles. Reconnaissables parfois à leurs controversés cadrages verticaux au point que certains parlent désormais d’un « syndrome de l’image verticale« . Avec leur format portrait popularisé par le genre selfie auquel Xavier Dolan fait référence dans dans son film Mommy, ces vidéos mobiles conversationnelles  sont partagées via des applications Facebook, Vine, Snapchat ou via WhatsApps avec les dernières venues Dubsmash ou encore l’application de livestream Meerkat dont certains analystes discutent  déjà l’usage pendant la campagne présidentielle étatsunienne de 2016. Citons la dernière arrivée en mars 2015, Pericospe qui n’autorise que le filmage en format vertical consacrant ainsi le format portrait mais qui permet de conserver le  live pour une journée et dont les expérimentations journalistes commencent à fleurir. Ou encore l’application mobile de Facebook de vidéo collaborative, Riff avec des vidéos de 30 secondes pour concurrencer Vine et Snapchat. Plus qu’une explication par le déterminisme technique avec la montée des réseaux 4G, il convient de s’attacher à recontextualiser les derniers développements de la vidéo au sein des usages de l’image connectée.

Le tournant conversationnel de la vidéo sur Facebook, Internet comme « TV du peuple » sur YouTube

La mise en place sur la plateforme Facebook d’une fonction « autoplay » grâce au format « inread »- c’est à dire un lancement automatique des vidéos qui s’éteignent au fur et à mesure du défilement vient ainsi venir concurrencerYouTube.

 

A la manière des « stars » de YouTube est également comptabilisé depuis avril 2015  un « Top Publishers For Facebook Video » et dans la lignée des petites histoires du droit d’auteur, Facebook songe à développer une technique de Content ID à la manière de YouTube. Entre la plateforme vidéo et le réseau socio-numérique les vidéos circulent sous le mode du freebooting loin des bots du copyright. Des Youtubbers interpellent Facebook tandis que la guerre du copyright sévit désormais entre GAFAM comme à partir de 1999 elle avait concerné Napster et l’industrie du disque.

 

Il faut ici se garder de toute rhétorique subtitutionniste entre YouTube et Facebook. Tout d’abord parce que le moteur de recherche de Google auquel ce dernier service appartient représente une fonctionnalité d’usage encore inexistante sur le fil Facebook. Ensuite, si YouTube nourri par un foisonnement d’user generated content est devenue aujourd’hui une scène de construction identitaire (Youtubeuses) et  de consécration des talents numériques renouvelant la création télévisuelle par le genre  shortcom (Studio Bagel racheté par Canal+), l’usage conversationnel des vidéos sur Facebook et ses applications mobiles de messagerie comme Riff qui permet de créer une vidéo de 20 secondes à laquelle il est possible de répondre par une autre vidéo, peut s’avérer plus complémentaire que concurrentiel à YouTube, qui accueille plutôt  des activités de recherche en tout genre (recettes, démos, tutos…)  et des pratiques médiatiques divertissantes. En effet, la plateforme fait également office de « télévision » bis y compris pour les gamers qui regardent d’autres joueurs jouer comme nous le précisons dans l’ émission « Bits Magazine »/Arte.

Vidéoludisme mobile, entre remix culture et karaoké visuel

Ce vidéoludisme d’un nouveau genre consiste à jouer avec les images (et leurs sons) afin de nourrir des conversations créatives via les applications de messagerie et de réseaux sociaux mobiles venant  ponctuer différents moments de nos vies  connectées pour le meilleur et le pire en termes de données personnelles. Ces usages créatifs des applications mobiles tend à montrer que, désormais, ces dernières constituent le contexte socio-technique des interactions au détriment des plateformes historiques et emblématiques du tournant social du web 2.0. Un terrain de jeu récent en est représenté par l’application Dubsmash lancée au début du mois décembre 2014.

Les règles empruntent à la culture du remix et au karaoké visuel car il s’agit de sélectionner un court extrait sonore de films ou de musique et ensuite en cadrage frontal de mimer –  en principe mais tous les hacks d’usage sont permis – telle scène ou telle chanson. Ensuite la vidéo peut être envoyée à son réseau de contact de la messagerie WhatsApp ou par SMS mais il est également possible de la conserver dans sa galerie photo pour d’autres modes d’échanges.  Il est également proposé, en tant qu’utilisateur, d’enrichir la base de données sonores à rejouer.Voici parmi tant d’autres, une série de dubsmash réalisés dans un internat de garçons qui représente l’état d’esprit potache des usages juvéniles de cette application.

Dubsmash internat

Nous avions en 2009 émis l’hypothèse d’un nouvel âge de la culture marqué par les productions des publics remixeurs. Depuis, le remix est devenu la prose du web et les expressions et interactions à travers les réseaux sociaux s’accomplissent par l’intermédiaire de contenus créés par les usagers ou de de contenus préexistants partagés. Des sites  d’imageboard comme 9gag, tumblr, vidéos de Cyprien, Norman constituent la database audio et visuelle de cette poïétique ordinaire du copier-coller. Mais en l’absence de reconnaissance de l’usage loyal de la vidéo conversationnelle, la proposition de vidéoludisme mobile de Dubsmach pourrait être menacée par les ayant-droits des dialogues et musiques de films ou chansons célèbres rejouées et remixées par les mobinautes.

Thématisés sous le slogan « fun way to communicate », les usages de l’application en sont de fait récréatifs comme nous le font observer ces deux mères de famille d’une cinquantaine d’années immobilisées autour de 21h, après leur travail, en ce mois de décembre 2014 sur un quai de métro parisien en pleine séance de fous rires autour de leurs mobiles et des vidéos que la fille lycéenne de l’une d’elles envoie par WhatsApps comme par exemple ce pastiche d’une pub pour Nutella avec la voix de Golum qu’elle voulut bien me montrer. Cette scénette vient aussi démontrer combien la parentalité connectée n’est pas forcément un cauchemar entre cyberharcèlement et autres sexting mais qu’elle peut amener à partager des formes d’expression ludiques émanant des plus jeunes. Elle vient également démontrer comment le format « messagerie »  reste un terrain d’usages innovants. C’est par l’intermédiaire d’applications de live mobile ou de vidéos mobiles partagées que communiquées les nouvelles de nos proches venant également prolonger les pratiques de visite amicale et familiale revisitée par le numérique (visio tchat, skype, facetime etc.).

 

nouvelle du tgv vidéo

 

Du SMS qui se réinvente toujours il y au live mobile,  du texto à la vidéo mobile, c’est également l’histoire des langages et des formes de la communication interpersonnelle qui se poursuit dans ce mix habituel de tradition d’usage et de ramification innovante (notamment du point de vue des acteurs socio-économique ( OTT, GAFA…)  et de l’offre de contenus (du site web intégré aux applications mobiles fragmentant services et fonctionnalités).

Micro-vidéo post-coloniale : les boucles de la reconnaissance

Une  fonction identitaire de la vidéo produite et circulant via des applications  mobiles est également à l’oeuvre dans certains usages de Vine dont les contraintes formelles de vidéo de 6 secondes diffusée en boucle peuvent être mis à profit par certains virtuoses à l’instar de la « GIF artist » Anne Horel à laquelle nous consacrerons notre prochain billet. Des séries dédiées à ces différents formats mobiles sont d’ailleurs en cours de conception. Certains artistes s’en saisissent, tel Jacques Perconte, invité du colloque « Arts et Mobiles » organisé avec Roger Odin et Laurent Creton, et qui filme relativement systématiquement sa vie quotidienne mais également ses oeuvres numériques au moyen de cette application. Ritualiser sa vie d’artiste avec les contraintes stylistiques de cette application de vidéo mobile ou théâtraliser sa privée comme le réalisent aujourd’hui de nombreux adolescents et jeunes adultes au cours de leur socialisation connectée, les usages de Vine – mais également toutes les innovations en matière de wearable camera  – vont dans le sens d’une existence sous « capture d’écran ». Un jeune « rebeu » comme il se désigne lui-même a ainsi créé une chaîne Vine « SofianeFV » dans laquelle il met en scène de courts clips dans lesquels il performe son identité postcoloniale comme par exemple « Les rebeu en période d’examen » ou  « La punition que tes parents t’inflige lorsque tu fais une connerie .. (Version babtou & rebeu) ». Il va s’en dire que plus la vidéo est jouée et affiche des boucles de visionnement plus la reconnaissance des pairs est forte.

De la micro-vidéo à la micro-animation, la mémoire remuante des images

Parmi les images bonnes à être partagées dans la dynamique de la sociabilité digitale, mentionnons également les GIF animés et notamment une collection de « GIF patrimoniaux » issus de films de cinéma que s’échangent cinéastes et cinéphiles. L’esthétique de la  boucle du GIF a pour effet de  réinventer le cinéma des premiers temps et ses formats courts dans un perpétuel présent.

gif hulot

On observe également au cours de l’été 2015 des partages de micro-animations d’image basées sur le format GIF mais qui s’apparente plus précisément à de la micro-animation d’images fixes comme le propose notamment le cinemagraphe.

L’épisode caniculaire du mois de juillet 2015 ayant donné lieu à des statuts offrant de telles micro-animations autour des scènes classiques du cinéma dans la lignée des films des premiers temps emplis de la monstration des puissances dynamogènes de la nature comme le vent, la pluie, le feu magnifiées dans les films Lumière par exemple.

gif conversationnel canicule 2 juillet 2015

Entre images fixe et animée, l’indifférenciation guette suivant le mouvement de métissage généralisé des signes que la textualité digitale favorise. Métissage des signes mais également collusion temporelle avec cette réactivation par le GIF et la micro-animation de siècles de créations visuelles qui forment les contenus expressifs ordinaires contemporains.

Story et Discover : raconter le monde depuis l’oeil-caméra mobile ou comment l’image verticale documente un soi dans le monde

Jouer avec les images au moyen de cet écran/écritoire, de cet oeil-caméra imaginé par Dziga Vertov, oqu’est devenu le mobile comme média de la voix intérieure, pour raconter qui l’on est ? où l’on est ? avec qui ? dans quel but ? – autant de questionnements auxquels le genre « Selfie » apporte également des formes visuelles de réponses – constitue l’une des promesses de la fonctionnalité « Story » sur Snapchat. Implémentée depuis octobre 2013, elle permet d’éditer une «story» personnelle à partir de ses snaps, c’est-à-dire un résumé de sa journée visionnable pour tous ses contacts pour une durée de 24 heures. Cette prescription d’une  « narration de soi » supposant à la fois des algorithmes de montage et des énoncés personnels typique des nouvelles créations algorithmiques se trouve détournée par les usagers mais aussi les concepteurs de Snapchat. Cette application Snapchat – que des analystes ont voulu ériger en emblème des pathologies du narcissisme contemporain – a par exemple été utilisée, à travers sa fonction « story »,  pour produire un reportage sur les émeutes de Ferguson aux USA. Cette « story » agençant de façon chronologique des vidéos et des snaps, typiques de la textualité mobile composite entre images, textes et graphies, est l’oeuvre d’un réalisateur qui s’excuse par avance du format vertical de ses vidéos mobiles lorsqu’il présente sa chaine « Casey Neistat’s Snap Stories » sur YouTube. Cette dimension transmédiatique de traversée des contenus des applications et des plateformes correspondant par ailleurs aux pratiques même du digital connecté combinant des constellations singulières propres à chacun de services, de fonctionnalités et de terminaux.

 

Désormais, l’application Snapchat propose une fonction « Discover » d’actualités (vidéos, photos….) proposées par différents médias (CNN, MTV etc) et marque un tournant « mobile only » dans la stratégie digitale de la presse. Le format de « l’écran vertical » du mobile devient ici un support pour ne plus se connecter seulement à soi-même mais pour voir le monde à travers des propositions formelles assumées comme telles puisque la description de Discover par la team Snapchat met en avant moins l’aspect social que créatif. Dans l’offre « Discover », on note également des mini-séries qui sont produites par Snapchat notamment par les enfants d’Hollywood comme la fille de Steven Speilberg avec et cette mini-série –« Literally Can’t Even » diffusée les samedis, d’une durée de 5 minutes et s’effaçant au bout de 24 heures (ce qui ouvre au passage un nouveau dossier de conflictualité entre acteurs du numérique, ici Snapchat censurant YouTube 🙂 ) Le chantier créatif autour de la vidéo mobile– dans le sillage des short com popularisée sur YouTube notamment – est ouvert et nous l’analyserons dans un prochain billet.

snapchat mini série

Les mobiles sont les « yeux du monde » comme l’exprimait un manifestant iranien en juin 2009 en exhortant les protestataires à tout filmer.  Les pathologues du narcissisme contemporain se sont aveuglés en décrivant snapchat et le selfie comme une pratique expressiviste uniquement égocentrée. Il existe également des campagnes usitant la fonction story pour produire des récits à la première personne comme cette campagne de l’UNICEF d’alerte sur les déplacements d’enfants au Nigéria lié à la secte Boko Haram.

 

 

Les mobiles comme yeux du monde : partager sa vie filmée, un nouveau ready made by mobile

Cette métaphore des mobiles comme yeux du monde est aujourd’hui plus que jamais en usage avec le développement d’applications de stream mobiles comme Merkaat et Periscope, dont le slogan marketin est « Explore the world through someone else’s eyes ». Le live stream mobile (Bambuser, Qik…)  n’est pas une innovation en soi mais ces nouvelles applications participent de la socialisation accomplie d’une culture mobile. Ces applications de live stream mobiles qui ne sont subsumables sous les usages usages de live selfstreaming mais viennent s’implémenter dans le contexte des pratiques communicationnelles. Communiquer par un langage métissant les signes de l’écrit et de l’image, s’exprimer et interagir par le biais de vidéos partagées ou créees par soi-mêmes correspondent à des pratiques socio-numériques mobiles contemporaines. Chez les plus jeunes « vivre et filmer sa vie » dans le même temps – réalisant ainsi  les voeux de Michel Foucault de « stylisation de l’existence » – leur offre la possibilité de  transformer créativement une existence banale passée le plus souvent dans les espaces clos des écoles, collèges et lycées. Faire de sa vie un film à partager par le  biais de ces technologies de communication rejoint le geste de transfiguration du banal de Marcel Duchamp. Avec ces usages re-créatifs juvéniles de la vidéo conversationnelle, la vie devient un ready made by mobile.

 

Signalons déjà que sur la base de ces applications de live mobile sont imaginés des détournements (commerciaux) comme ce Meerkartroulette. Outre les usages pour les journalistes « mobile embed » , certains politiques s’en saisissent comme aux Etats-Unis prolongeant le répertoire de la causal political video prête à être partagée sur les réseaux sociaux comme interview par le biais de l’application Merkaat de la White House press secretary.

 

La visite distale ou ce que je vois de mon periscope

A suivre donc sur ce blog et ailleurs. Autre chantier en cours avec le développement des pratiques de « regard filmé » avec les appliations de live mobile, les questions de droits de reproduction et de transmission notamment dans les spectacles et les manifestations sportives. Ou comme ici  avec l’application de live mobile Periscope qui permet d’entrevoir, à travers cette image-fente de l’écran vertical du téléphone, qui permet d’entrevoir une séance de calligraphie.

 

La pratique de la visite distale, c’est à dire la visite à distance, s’observe comme l’un des usages juvéniles des applications de live mobile. Suivant la métaphore des « ados vampires » se socialisant tard dans la soirée, des sessions vidéo mobile en direct sont annoncées sur Twitter sous des accroches « On papote » ou « qui veut se faire un live ce soir ».

 

 

Lors de ces cessions, lycéens ou étudiants parlent de leur vie quotidienne ou répondent aux questions, blagues et autres insultent qui surgissent comme des bulles de tchat sur l’un des côtés de l’interface tandis que que l’autre partie du tryptique des coeurs éclosent. Au centre, l’image verticale permet d’entrevoir l’hôte et un pan de décor domestique.

 

 

 

 

A l’instar des films des premiers et du genre « trou de serrure » que la firme Pathé avait popularisé, les usages naissants du live mobile réinventent cette invitation à regarder au-delà des écrans et à s’inviter en imagination chez tout à chacun.

Pour citer cet article

 

« Express Yourself 3.0 ! Le mobile comme média de la voix intérieure »

« Express Yourself 3.0 ! Le mobile comme technologie pour soi et quelques autres », version de travail mise à jour du chapitre initialement paru dans  « Téléphone mobile et création”, sous la dir. de Laurence Allard, Roger Odin, Laurent Creton”, Armand Colin, 2014.

Longtemps, le téléphone a été considéré comme relevant des technologies de communication dont le paradigme d’innovation était celui de « la voie lointaine ». Communiquer à distance avec d’autres a longtemps constitué l’horizon du développement technique de la téléphonie conduisant au premier appel passé il y a 40 ans, le 3 avril 1973 par Martin Cooper, ingénieur chez Motorola à New York, depuis la Sixième Avenue. Lors de précédents travaux[1], nous avions thématisé le téléphone mobile comme relevant de « technologies du soi » et pouvant être décrit comme une topique de la subjectivité des individus, comme un support d’expression de l’intériorité des sujets. Cette hypothèse avait été énoncée notamment à propos de l’usage que pouvaient en faire, dans les pays émergents, les femmes pauvres ou les plus jeunes, disposant avec le téléphone d’une « chambre à soi » (Virginia Woolf) quand plusieurs générations vivaient sous le même toit ou lorsqu’une jeune fille mariée de force partait vivre avec son mari loin de sa famille. Étayant une individuation réflexive, il constituait un outil d’empowerment pour des usages citoyens et humanitaires des téléphones mobiles dans le monde.

Sans tomber dans une perspective privatiste et en réaffirmant que pour être un témoin du monde, il est nécessaire de se construire réflexivement comme un sujet, nous voudrions montrer ici que le téléphone mobile, tout en demeurant une technologie de communication avec autrui, devient également un authentique moyen de communication de soi avec soi-même. Ce qui nous incite à suivre un nouveau paradigme dans l’usage des technologies de communication, non plus placé sous le seul signe de la « voix lointaine » mais également guidé par les métaphores de «la voix intérieure». En effet, parallèlement aux interactions à distance ou en co-présence déjà bien connues, le téléphone mobile outille désormais la médiation de soi avec soi-même. La dernière vague d’applications mobiles comme Whisper ou Secret s’implante dans ce registre automédiale du mobile.  Et sous des formes automédiales qui ne sont pas seulement résumables aux seuls selfies, dont l’effet-genre[2] vient justement réordonnancer le caractère singulier et « sauvage » des pratiques mobiles.

L’hypothèse du mobile comme « média de la vie intérieure » est basée sur des récits de pratiques et des observations des usages d’une large panoplie d’outils, de services et de contenus à disposition aujourd’hui, allant du téléphone portable à la tablette tactile, du tchat à Facebook, des photographies aux SMS menées dans de nombreuses enquêtes de terrain. Ces récits et observations montrent comment, au sein de cette panoplie transécranique et transmédiatique, le mobile occupe désormais aussi la place d’une « technologie pour soi » entendue au sens de médium d’expression d’une subjectivité mais également comme un terrain d’exercice de l’intériorité sous ses différentes facettes. Ce faisant, il est pratiqué, avec une part de créativité ordinaire dans le cadre d’une stylistique de l’existence, comme une technologie à travers lesquelles émotion, action et représentation sont à penser suivant ce que nous désignons comme un « double agir communicationnel ». Ce glissement du téléphone mobile de technologie de communication à une technologie du soi/pour soi s’inscrit dans un mouvement d’encorporation des outils sous l’aspect d’un continuum « soma-technologique » qui s’éprouve dans la discontinuité. Ce qui pose in fine la question d’une anthropologie symétrique entre humains et artefacts, entre corps et esprit qui permettrait de penser notre relation au mobile en tant que compagnon d’existence et compagnon de nos sens dans un moment d’extension des portables aux objets mettables (wearable devices du type montres intelligentes). Dans le cadre de cette anthropologie non-compétitive, penser  les technologies de soi comme technologies du corps permet de formuler un récit alternatif à l’idéologie du transhumanisme.

La suite de l’article par ici


[1] Laurence Allard, Mythologie du portable, Éditions Le Cavalier Bleu, Paris, 2010

[2] Laurence Allard « Le selfie, un genre en soi. Ou pourquoi, il ne faut pas prendre les selfies pour des profil pictures ? », Janvier 2014 in Mobactu : http://www.mobactu.org/?p=904

 

Colloque international « Arts et Mobiles », 4 et 5 décembre 2014

 Arts et Mobiles

4 et 5 décembre 2014

INHA, Salle Vasari, Paris

Colloque international organisé par Laurence Allard, Roger Odin, Laurent Creton

Pour sa troisième saison, le groupe de recherche « Mobile et Création » de l’IRCAV aborde frontalement dans le cadre de ce colloque le rapport à l’Art des terminaux et services ayant des fonctionnalités mobiles (téléphones, smartphones, tablettes et autres phablets). En cette année de consécration d’un genre photographique propre au mobile, le « Selfie » (élu mot de l’année par l’Oxford Dictionnary), il semble opportun, après avoir documenté et mis en avant dans les colloques précédents la créativité des praticiens de mobiles dans les domaines de la vie ordinaire, de l’éducation ou de la médiation, de se pencher plus spécifiquement sur les mondes de la création et de l’art.

Cinéma, vidéo, publicité, musique, beaux-arts, littérature, spectacle vivant, nouvelles créations algorithmiques ou jeux transmédia : tous les champs des arts et des industries créatives peuvent être interrogés suivant une double question-programme : qu’est-ce les mobiles font aux arts et à l’Art ? et qu’est-ce que l’Art et les arts font aux mobiles ?

Les artistes sont des usagers des mobiles et nous souhaitons interroger leurs relations à ces outils dans leurs pratiques de création ainsi que les modalités selon lesquelles s’ouvrent le champ des disciplines artistiques dans le détournement créatif des terminaux, des services et des fonctionnalités mobiles.

Quels espaces et quels contextes de réception pour ces productions mobiles ? Qu’est ce que cela change quand la réception se fait elle-même mobile ? Quelles interactions avec les acteurs économiques du secteur des télécoms ? Quelles redéfinitions de la pratique artistique et de l’Art en général sont induites par ces outils et ces pratiques ?

JEUDI 04 DÉCEMBRE 2014

9h00 : Accueil des participants

9h30 : Ouverture du Colloque et Introduction générale par les organisateurs : Laurent Creton, Laurence Allard, Roger Odin

10h-10h45 : Conférence inaugurale de Larissa Hjorth,  (RMIT University Melbourne, Australia) :

« Mobile Media Art- Micronarratives » 

11h-13h : Session « Comment peut-on parler d’un art photographique mobile ? »

Sébastien Appiotti (Photophores, France)

Eloise Capet  (MOBAG, France)

Sven Buridans (Mouvement Art Mobile, Québec)

Gaby David (EHESS)

Pauline Escande-Gauquié (Paris V-Celsa)

Pause déjeuner

14h00-14h45 : Conférence de Alain Fleisher (Directeur du Fresnoy) : « Objets filmeurs, sujets filmés »

15h00-17h30 : Session « Les arts mobilisés »

Sébastien Pluot (ESBA, Angers)

Jean-Louis Boissier (Paris 8)

Dominique Cunin (ENSADLab)

Françoise Paquienséguy (Elico, Sciences-Po Lyon)

Sylvie Bosser (Paris 8-CEMTI)

Jean-Claude Taki (artiste)

Augusto Sainati (Università degli Studi Suor Orsola Benincasa, Napoli)

Cocktail, salle Aby Warburg, 18h

 

VENDREDI 05 DÉCEMBRE 2014

 

9h30-10h00 : Conférence de Jean-Paul Simon (IPTS/JPS Public Policy Consulting) : « Les enjeux économiques du mobile en regard de ses usages créatifs »

10h45-13h : Session « Applications mobiles transmedia (ARG etc.) »

Mélanie Bourdaa (Bordeaux 3, MICA)

Pierre Cattan (CinémaCity)

Olivier Mauco (Paris 1)

Marie Pruvost-Delaspre (Paris 3)

Kristian Feigelson (Université Paris 3-IRCAV)

Viva Paci (Université du Québec, Montréal)

 

Pause déjeuner

14h-16h15 : Session « Vidéo-drones (drone, GoPro, Vine, Google Glass) »

Benoit Labourdette (Quidam Prod)

Jacques Perconte  (artiste)

Barbara Laborde (Paris 3-IRCAV)

Kanerva Cederström (cinéaste)

Geoffrey Delcroix (CNIL)

16h30  Conférence de clôture de Dominique Chateau (Université Paris I) : “Nouvelles formes et instauration artistique”

 Curation d’art photographique mobile durant le colloque par Sébastien Appiotti (Photophores, France) et Laurence Allard (IRCAV-Paris 3) à voir en ligne  ici

 

Comité scientifique

– Laurence Allard, maître de conférences, Université Lille 3 / IRCAV-Paris 3

– Fransceco Cassetti, professeur à Yale University

– Laurent Creton, professeur, IRCAV, Université Paris 3

– Pierre Mœglin, professeur, Labsic, Université Paris 13

– Roger Odin, professeur émérite, IRCAV, Université Paris 3

– Bruno Péquignot, professeur, CERLIS, Université Paris 3

– William Urrichio, professeur au MIT (fondateur Open Documentary Lab et the MIT Game Lab)

 

 

[MAJ] Emoji, le « mot-image » de la culture mobile, signe métisse du smartphone aux objets connectés

 

Depuis le 16 juin 2014, le consortium Unicode, dans sa liste de caractères universels pouvant être utilisés sur les supports numériques, a intégré 250 nouveaux emojis, agrandissant la liste des 800 pictogrammes venant de plus en plus enrichir nos conversations mobiles. Beaucoup de commentateurs ont mis l’accent sur le fait que le doigt d’honneur était ainsi reconnu par cette instance, cédant parfois à une verve folklorisante typique du discours sur le numérique. Regarder dans quelle direction pointe cet emoji d’honneur et  qu’indique cette standardisation de ce qui nous semble relever d’un ensemble sémiotique de « mots-images » usitées dans nos interactions digitales… autant de questionnements que nous voudrions commencer à soulever ici. De fait, plusieurs données nous incitent à aborder l’hypothèse d’un standard communicationnel  émergent dont l’emoji serait emblématique mettant en forme plus avant une culture mobile faite des mots-images au sein d’une textualité indifférenciant iconique et scriptural. Et fin 2014, le mot de l’année aura été de façon inédite un émoji. Il existe désormais un emojiday le 17 juillet ainsi qu’un avatar emojiesque de wikipédia : emojipedia.

Emoji : du Japon mobile au « mot » le plus utilisé de l’année 2014

Dans Mythologie du portable, nous avions rapporté l’observation d’une certaine insularisation des innovations mobiles développées au Japon. Ce que certains nomment « le syndrome des Galapagos » n’est cependant pas justifié en ce qui concerne l’emoji que définit ainsi l’Oxford English Dictionary :   « a small digital image or icon used to express an idea, emotion, etc., in electronic communications. Les emojis sont, en effet, des pictogrammes qui représentent des choses comme les visages, la météo, des véhicules et des bâtiments, de la nourriture et des boissons, des animaux et des plantes ou des icônes qui représentent des émotions, des sentiments ou des activités.  L’emoji diffère de l’émoticône qui réfère à une série de caractères textuels (généralement des signes de ponctuation) qui est censé représenter une expression du visage ou un geste. Le mot « emoji » lui-mêmee vient du japonais: 絵 (e ≅ image) 文 (mo ≅ écriture) 字 (ji de caractère ≅). Les emojis sont apparus  en 1999 sur les téléphones mobiles japonais mais en raison d’usages locaux et peu généralisés dans le monde  Il y avait une proposition au début de 2000 pour encoder emoji DoCoMo en Unicode. A cette époque, il était difficile de savoir si ces caractères entreraient en utilisation généralisée et ce n’est qu’en 2007 que le consortium Unicode pris la décision d’englober les emojis. Il apparait qu’en 2014, c’est l’emoji ❤ qui aura été le mot de l’année, utilisé plus d’un milliard de fois par jour dans les conversations digitales parmi tant d’autre. On observe en effet qu’il se place désormais aux côtés des « like » et autres « favoris » au sein des formes de communication minimale, sorte d’accusé de réception ou de ratification du lien social.

Emoji d’honneur,  un doigt pointé vers  l’iconisation de la conersation téléphonique ?

Nous avions parlé dans un billet précédent « Qu’est-ce qu’une photographie à l’ère numérique? » de la plateforme Line et de sa large palette expressive en emoji conférant à la communication téléphonique une dimension iconique  inédite et typique de la multimodalité des interactions digitales dispatchées entre voix, texte et images selon les circonstances, les interlocuteurs et les équipements.

Cette iconisation de la conversation par téléphone mobile – qui se donne à voir dans l’usage récurrent de l’émoji –  s’inscrit dans un double contexte de mutation du mobile comme l’authentique « caméra-stylo » et de la socialisation achevée du genre « applications » notamment auprès du public juvénile et comme en atteste le nombre d’utilisateurs aux applications de messagerie mobile. Si le mobile dévore le monde, les emojis permettent de mettre le doigt sur cette nouvelle culture mobile. Des emojis qu’il est désormais possible de rechercher en tant qu’entités signifiantes sur certains moteurs de recherche.

Le rapport annuel de Mary Meeker « 2014 Internet Trends » paru en juin 2014 a mis en avant le chiffre de 1,8 milliard de photographies partagées chaque jour dans le monde soit la multiplication par 5 en deux ans de ces pratiques corrélées elles-mêmes à la montée des applications de messagerie mobile comme Snapchat. Le mobile est ainsi devenu dans de nombreux pays dans le monde le « premier écran » comme par exemple aux USA. Et d’après le nouveau  « Mobility Report » d’Ericsson,  les usages du téléphone mobile – ou plutôt des mobiles en comptant les tablettes et autres phablettes – semblent rompre plus que jamais avec le paradigme historique d’innovation autour de la voix et de la communication à distance au profit de pratiques de prises de vue et de visionnement d’images…mais qui ne sont plus juste des images mais à la fois des images et des mots mais aussi des mots-images, comme nous allons le montrer.

 

 

Les adolescents passeurs créatifs des mots-images (selfie, emoji…)

Les applications mobiles, moins d’une dizaine d’années après leur première émergence à la faveur d’un smartphone à la pomme, trouvent leur public particulièrement chez les adolescents. L’enquête « Junior Connect » (Ipsos, mars 2014) intitulée « Print, tablettes, autres écrans : les nouveaux usages des moins de 20 ans » établit une inscription à 50% des 13/19 sur les messageries instantanées  mobiles comme SnapChat ou WhatsApp et comptabilise 9 adolescents sur 10 utilisant des applications mobiles. En suivant le tag #everythingonmyphone, il est possible d »observer de l’intérieur cette culture mobile juvénile constituée par la singularisation – suivant la problématique du hack d’usage – d’une panoplie d’applications.

 

Leurs usages d’une conversation iconisée – dont relèvent les emojis –  sont également à l’oeuvre dans les selfies pris notamment par l’intermédiaire d’une application comme Snapchat. Selon une enquête Pew Internet de mars 2014, la moitié des jeunes entre 18 et 33 ans ont posté un selfie sur différentes applications web ou mobiles. Le selfie est, selon nous, plus de l’ordre d’un portrait de soi dans le monde au cadrage indiciel – supposant une performance gestuelle – dans lequel l’élément significatif est à vos côtés ou à l’arrière-plan (une personnalité, un décor…). Le selfie pris et envoyé avec l’application Snapchat par les plus jeunes ne relève pas unilatéralement d’une culture de l’éphémère narcissique mais constitue également un moyen de mise en scène des interactions présentes qui joue notamment sur  la programmant par exemple d’un effet de surprise ou de frustration chez le récipiendaire d’un ensemble de signes (image, dessin, texte) grâce au minutage de la durée de réception. Drama et coup de théâtre nourrissent ainsi les mises en scène de la vie quotidienne connectée des adolescents qui trouvent des espaces de publicisation temporalisées sur les réseaux sociaux mobiles. Comme l’explique cette lycéenne de Seine Saint Denis se prenant en photo avec Snapchat devant le tableau des départs de la gare du nord : « C’est la première fois que je vais à Londres. Je me suis photographiée avec le tableau des départs en mettant 5 secondes comme ça au lycée on va se demander où je suis partie. Ça me fait rire d’avance.» (S., 16 ans, Saint-Denis). Cette dramaturgie selfiesque constitue un bon terrain d’observation de la  « stylistique de l’existence » chère à Michel Foucault qu’aménage le mobile devenu compagnon d’existence des jeunes (et des moins jeunes). A l’aide de l’application Snapchat, les adolescents vont ainsi composer des agencements de signes visuels et textuels dans lesquels ils exercent leur créativité dans leurs interactions de tous les jours et ce parfois sur une durée de 24h quand elles ou ils recourent au format « story ». Ainsi cet exemple d’un snapchat envoyé par une lycéenne de 17 ans devant le poème « Le bateau ivre » de Rimbaud inscrit sur un mur parisien qui compose un autoportrait ironique en jouant à la fois sur les mots et les images.

L’emoji dans la salle des profs : un langage transgénérationnel

Mais il serait  erronée de limiter l’usage des mots-images et de la conversation iconisée aux seuls adolescents et de les singer comme un peuple numérique autarcique ne dialoguant qu’entre pairs dans un langage spécifique comme certaines visions psycho-marketing le proposent. Il existe  un caractère transgénérationnel de la conversation mobile à travers les échanges entre adultes et jeunes, telles ces conversations entre enseignants et élèves qui constituent un vecteur de pervasivité entre milieux sociaux et formats expressifs. C’est le cas de cette professeur de lettres en banlieue parisienne, Mathilde Levesque – auteure d’un livre de recueil des perles numériques et verbales de ses élèves intitulé « LOL est aussi un palindrome« . Cette enseignante, exemplaire de l’engagement des enseignants dans la mixité sociale et culturelle – poste régulièrement sur Facebook des messages écrits par emojis (captures d’écrans de SMS, photographies mobiles de copies commentées par ses propres mots-images).  Interrogée sur ce partage d’un langage commun avec ses élèves, elle explique, selon ses propres termes recueillis au cours d’une conversation en ligne de mai 2014, « seuls mes anciens élèves sont autorisés à utiliser les emojis dans les SMS qu’ils m’envoient ». Elle converse ainsi par mobile à la fois avec ses élèves mais également avec sa mère initiant une chaîne de diffusion de ces « mots-images » en toute créativité. On notera ainsi l’usage de l’image du revolver qui vient re-sémiotiser le langage non-verbal avec ce geste de « se tirer dans la tempe » qui survient parfois dans les interactions de face à face pour exprimer une lassitude exacerbée devant telle ou telle situation.

 

 

Grammaire et herméneutique de l’emoji

Mat Hild poursuit en expliquant que pour elle « les emojis sont très différents des smileys (que je déteste), car ils ne relèvent pas d’un automatisme. Ils me semblent pour la même raison très utiles pour éviter de gloser une émotion, particulièrement en contexte contraint. »

Une herméneutique des mots-images de la culture mobile peut à présent être observée à mesure que la palette expressive de l’emoj s’élargit et se customise à travers une gamme d’ applications de clavier. En janvier 2015, le procès du fondateur de Silk Road a même intronisé l’émoji dans les prétoires et ce faisant contribuant au tournal digital de l’herméneutique juridique qui doit prendre en compte désormais des pièces à conviction prenant la forme de statut facebook ou de SMS dans lesquels la présence d’un mot-image devient l’un des éléments de la production de sens. Alors que le smiley semblait un signe iconique déchiffrable non ambivalent, la communication idéographique créative suppose une technique d’interprétation, à la fois en raison de la non interopérabilité entre les marques de smartphone mais aussi par la polysémie des emojis. Certains vont même décrire leur propre émoji imaginaire par des mots quand ils ne peuvent ou ne veulent pas l’insérer.


A travers cette reconnaissance de l’emoji par Unicode ou encore le lancement d’un réseau emoji-only, pointons la possibilité d’un renouveau de l’écriture idéographique à travers l’usage des emojis en particulier et l’iconisation de la conversation mobile en général.

En effet, à la différence des smileys qui avaient une fonction de modalisation de l’expression typique d’un registre affectif de l’offre communicationnelle commerciale (que certains désignent comme relevant d’un capitalisme affectif), les emojis constituent, dans leurs usages observables, un langage de mots-images, venant s’ajouter aux langages verbal ou iconique déjà souvent indifférenciés dans la conversation mobile (photos de textes envoyés…).

De la textualité mobile, il avait été déjà beaucoup question dans ce blog. De son caractère hybride  textuel et iconique support à la fois d’usages d’automédialité ou conversationnels. C’est cette dimension langagière en tant que telle des mots-images comme partie prenante de l’histoire de l’Ecriture que réactualise la conversation mobile créative.

Une dimension langagière qui suit de près les règles syntaxiques de certaines langues comme cette étude menée par un analyste d’un cabinet d’études étatsuniens Tyler Schnoebelen qui a analysé 500 000 tweets comportant des emojis. Il fait observer que «les emojis ont tendance à être en fin de message, qu’ils respectent la chronologie du temps et des actions et ne peuvent être confondus avec des simples signes de ponctuation.»

 

C’est ce qui pourrait expliquer l’introduction d’emojis ethniques. Si les emojis ne consistaient qu’en des signes d’interjection iconique à l’instar des smileys, des enjeux identitaires n’auraient pas connus un tel écho car il est possible de discourir par emoji et de constituer un syntagme expressif dans une suite de tels mots-images. Ainsi, il existe une gamme d‘Ujo africains permettant de sortir des clichés de l’occidentalisme blanc dominateur dans sa mise à l’écart des emojis à caractère ethnique. La version 8.O d’Unicode propose depuis le 03 novembre 2014 une gamme de 5 tons de couleurs de peaux enrichi en juin 2015. Et depuis février 2015, la marque à la pomme propose des emoji représentant la diversité ethnique avec visages, pouces etc.

Une étude  a recensé sur un milliard de données d’un service de clavier – ce qui n’est pas très rassurant en termes de privacy – des usages différenciés par langues et par pays. En n’évitant pas l’écueil de l’essentialisme national, elle montre que les étatsuniens préfèrent le signe de l’aubergine. Ce dernier signe ayant été censuré dans la nouvelle fonctionnalité d’Instangram de recherche par emoji. Les français, suivant le cliché de leur supposé romantisme, abusent du coeur pour 55% des utilisateurs de ce clavier. Demeure un questionnement sur les usages locaux de signes comme, suivant les exemples de l’article, la séquence  fréquente de visages en pleurs chez les hispanophones venant marquer le  MDR plus que la tristesse. La recherche sur cette révolution de l’écriture mobile venant créoliser les langages et les langues reste encore à développer plus avant.

Il apparait également que sur Instangram suivant une étude interne de mai 2015 que depuis l’introduction des emoji sur les claviers entre 2011 (iOS) et 2013 (Android)  la moitié des « textes » sur ce réseau social de photographies mobiles soit composé de ces mots-images.  Les figures ci-dessous en indiquent la progression d’usage et la répartition thématique avec au centre les emojis d’affect qui sont également les plus fréquents et en viennent à s’utiliser pour signifier des expressions idiomatiques d’internet  comm “lol/hehe” , “xoxo” and “omg”  comme l’illustre le dernier schéma. L’auteur en conclut que l’emoji est devenu un quasi langage d’expression universelle. Nuançons ce propos en mettant en avant les jeux interprétatifs de ces signes qui mettent en forme plutôt une écriture métissage tramé dans un mix langagier typique donc de la conversation créative mobile.

Pour certains linguistes, le langage emoji connait une acculturation rapide tandis que d’autres spécialistes des sciences du langage vont contester la nature langagière des emoji en raison de son absence de grammaire par exemple. Cette querelle linguistique qui reconduit le partage épistémique entre langue et langage énoncée par Ferdinand de Saussure distinguant la première comme système et le second comme usages. Nous situant dans une perspective pragmatique, il nous parait opportun de documenter des expressions digitales métisées dont l’une des composantes langagières sont aujourd’hui les emoji au sein d’une matière multimodale.

Emoji et objets connectés : comment parler avec une montre même intelligente ? Vers des « glanceable interactions » et des micro usages mobiles ?

Nous avons décrit ici  l’extension possible de la connexion à toute chose, l’implémentation probable d’une intelligence artificielle à tout objet dans un monde multi-écranique. Ce champ d’innovation des objets connectés constitue un contexte favorable au développement du langage des mots-images. Les montres intelligentes, accessoire en vogue de la panoplie digitale dans la catégorie des wearable devices , sont parfois vendues avec une promotion marketing de la communication par emojis. La fonction de ces nouveaux bracelets connectés revient à faire office d’écran déporté du smartphone, de faire écran de résonance de notifications d’applications mobiles.  Parcourir les derniers messages d’un coup d’oeil (glanceable interaction)  et y répondre par un emoji depuis sa smartwatch, tel est le scénario d’usage présenté dans les discours d’accompagnement de ce marché . La marque à la pomme a ainsi sorti un guide des notifications pour capter un temps d’attention à 3 secondes. Ces « micro-moments mobiles »  s’inscrivent dans des formes minimales de communication déjà socialisées avec le like ou le favori des services de réseaux sociaux et autres réaffirmations phatiques du lien comme le succès de l’application YO  en est également emblématique. La multimodalité des interactions digitalisées, le fait de pouvoir communiquer par différentes matières d’expression via différents écrans et une pluralité d’applications, s’accompagne de formats d’engagement relationnel de plus en plus périphérique comme ici l’emoji émis par une montre. Conçue initialement pour donner l’heure en mobilité, la montre-bracelet connectée permet de compter son temps communicationnel à travers un répertoire de signes prêts à envoyer, à travers ces mots-images polysémiques.


Emoji ou encore stickers pourraient désormais être échangés de montres à montres comme le recherchent les développeurs des smartwatches. Cet appariement entre deux montres connectées – possédant la même « face » d’accueil –  ouvre la voie à l’aventure interactionnelle des emojis. Une aventure sémiotique à suivre afin de documenter le processus d’ajustement réciproque entre langage et device qu’en d’autres temps codex ou ordinateur ont matérialisé à leur façon. Les formes de communication minimales que favorisent les réseaux de montres intelligentes pouvant également véhiculer des signaux physiologiques tel le battement de coeur échangés entre partenaires appariés.

Le renouveau de l’écriture grâce à l’image connectée

Maurizio Ferraris dans son article « Ecrire avec le téléphone » publié dans  l’ouvrage collectif « Téléphone mobile et création » nous rappelle combien le téléphone mobile est avant tout « une machine à écrire, c’est à dire une machine à produire des objets sociaux ». Les emojis illustrent à la fois la créativité de la culture mobile contemporaine tout en s’inscrivant dans une histoire de l’écriture et de la communication. Ils symbolisent à la fois le futur technologique des interactions et leur ancrage dans l’histoire des mots qui est aussi celle des images. Il existe ainsi des emojis pour un des genres emblématiques de l »écriture mobile, le sexting pratiqués dans les SMS sexuels.

 

Des usages artistiques des emojis pris au sérieux comme un langage peuvent commencer dès lors à émerger comme cette création baptisée « Emojiopolis » (que nous a sympathiquement signalé @lucie_lemoine ✌ ). Citons également ces portraits de célébrités du moment réalisés en emojis par l’artiste rappeur Yung Jake grâce à ce site.

Relevant typiquement du digital labor entre travail gracieux et auto-exploitation, on peut mentionner la version en emoji de Moby Dick par les travailleurs d’Amazon Turk votant pour les 10 000 phrases en mots-images. L’initiateur de cet Emoji Dick développe un projet de traducteurs d’emoji pour créer, je cite, « des algorithmes permettant de traduire des phrases en anglais.

Cette culture mobile faite de mots-images qui s’invente dans les vagues d’usages inspire également des vidéos-clips comme ici :

 

Emoji et politique : nouveau langage de communication et de mobilisation

Des initiatives en matière de communication politique donnent à l’émoji le statut d’un signe d’un discours à la fois sérieux et esthétique. La ministre des Affaires Etrangères en Australie a ainsi donné une interview par mobile et par emoji en février 2015 tandis que le Discours sur l’Etat de l’Union 2015 de Barack Obama a été traduit pour les emojiphones par le Guardian US dédiant un compte Twitter @emojibama à cet effet. On peut se demander si un certain retour du mythe du langage universel ne pointe ici faisant du langage des mots-images des signes décodables par des non-anglophones. Mais comme il a été vu plus haut, à propos de l’étude Swiftkey les usages de ce langage possèdent des spécificités locales.

Il existe également un emoji inspiré par la gestuelle d’Angela Merkel. Elle est la première personnalité politique associée à un emoji. Le -<>-  donnant lieu à de nombreux détournements.

La technologie a outillé de nombreuses mobilisations dans le monde comme ce blog a en fait régulièrement l’analyse. Il est intéressant d’observer les usages de ce langage des mots-images dans ce contexte.  On peut ainsi lire dans une manifestation environnementale -organisée par une agence de design -des slogans par emojis.

 

L’association WWF a expérimenté le message de sensibilisation aux espèces menacées de disparition composé uniquement d’emoji accompagné d’un dispositif de don par retweet sur la plateforme Twitter.

 

Revolution will be emojized ? A suivre…

 

PS : Une version de cet article est parue sur Rue89