Voici en extrait, l’article publié dans Le Monde Diplomatique de mai 2012.
« Dans les heures qui suivent le tremblement de terre du 12 janvier 2009 en Haïti, plusieurs initiatives permettent de cartographier les besoins, les demandes d’aide, les appels de familles de disparus… Enseignant-chercheur spécialisé dans la cartographie de crise, Patrick Meier s’associe au programmeur kényan David Kobia, qui, en 2007, avait fondé le système Ushahidi, destiné à permettre à des citoyens de signaler les affrontements postélectoraux. De façon inattendue, cet outil va offrir une plate-forme à l’information d’urgence en Haïti : Meier et Kobia mettent en effet sur pied un système d’alertes géolocalisées transmises par téléphone mobile. L’opérateur Digicel leur emboîte le pas et fournit aux Haïtiens un numéro d’urgence unique, le 4636. Des centaines de vies seront sauvées.
A l’aide du service de messagerie (SMS) des téléphones portables et d’instruments de géolocalisation, Ushahidi permet d’organiser la réponse avec très peu de moyens. De tout le pays affluent des signalements : disparitions, manque de nourriture ou d’eau dans les orphelinats, personnes rescapées, etc. Traduits en français, anglais et créole par deux organisations non gouvernementales (ONG) — Samasource et Crowdflower —, les textos sont localisés, vérifiés et catégorisés avant d’être publiés sur une carte par une équipe de volontaires rassemblés à la Fletcher School of Law and Diplomacy, basée dans le Massachusetts, où enseigne Meier.
Grâce à une passerelle SMS mise en place par Instedd, une start-up américaine spécialisée dans la gestion informatisée des situations de crise, la Croix-Rouge — mais également les marines américains — est en mesure de recevoir les alertes signalant une situation dangereuse et sa localisation.
Cette rencontre inédite entre informaticiens kényans et armée américaine a joué un rôle déterminant dans la redéfinition, sous l’impulsion de Mme Hillary Clinton, des méthodes du département d’Etat. Les Etats-Unis ont certes une longue tradition d’usage des technologies de communication, liée à la transmission de la Voix de (…) »
Ces réflexions documentées autour du Mouvement des Indignés et d’Occupy Wall Street se situent dans le prolongement des travaux publiés dans ce blog au sujet des Révolutions Arabes. Elles correspondent un premier état d’analyse de données collectées en temps réel des mobilisations en cours. Bonne lecture à vous et travaux à suivre.
Comment s’effectue la décision de voter pour tel ou tel candidat ? Comment s’accomplit l’engagement électoral ? Et comment les technologies d’expression, de communication et relationnelles se trouvent pratiquées en temps de campagne électorale par un public de militants et sympathisants ?
Ces questions sont immenses mais elles forment le cadre d’une anthropologie du vote qu’il est intéressant d’initier en temps de campagne électorale.
L’application PlaceOPeuple : « le premier média, c’est nous »
Nous voudrions contribuer à apporter quelques réponses en nous focalisant sur l’usage d’une webapp réalisée pour la campagne du Front de Gauche et de son candidat Jean-Luc Mélenchon, PlaceOPeuple. Comme l’explicitent les concepteurs de la WebApp, Les Appliculteurs, elle a été « codée en html5 pour être accessible sous une forme optimisée à tous les types de portables ». Sur cette application, en plus de l’actualité de la campagne, sont proposés de façon inédite des « défis » aux « révolunautes ». Des « révolunautes » qui se trouvent dotés d’un outil de mobilisation et d’information personnelle dans la mesure où, comme le proclame le slogan de l’application, « Le premier média, c’est nous. »
Lancée le 15 décembre 2011, ce sont plus d’une quinzaine de défis qui ont été initiés.Il s’agit à travers ces « défis » d’innover dans les répertoires de mobilisation en temps de campagnes.
Le dernier en date a été proposé le 2 février 2012 et il mérite attention pour tous ceux que les pratiques politiques vives interpellent.
Au moyen de l’application, les « révolunautes » sont invités à « participer à la grande galerie photo que nous sommes en train de composer avec les visages et les messages des citoyen-nes de ce pays. L’idée : se prendre en photo avec un panneau sur lequel est inscrit un message qui doit commencer par «Je vote pour…» et se terminer par «#placeaupeuple», notre signe de ralliement à la candidature du Front de Gauche. Soit créatif : invente le reste ! Pour participer, rendez-vous dans l’appli de campagne : il suffit de relever le défi «Je vote pour… Les messagers de la Révolution citoyenne», dans la partie «Agir» de l’application. Ou envoie-nous directement un mail à l’adresse : photos@placeaupeuple.mobi À toi de jouer ! » Il est ensuite possible de consulter cette galerie photo sur la page du candidat Jean-Luc Mélenchon sur Facebook.
Diaporamas, photos de famille, lolcat, détournements photoshop : les pratiques créatives des « révolunautes »
En plus des commentaires qu’il suscite, comme par exemple celui saluant la « créativité du peuple » et autres messages de soutien directs au candidat, l’album riche de plus de 250 photos environ a été partagé – à ce jour – près de 700 fois dans sa globalité, commenté par plus de 1 700 personnes mais certaines photos sont également l’occasion de commentaires et de nombreux partages.
Mais s’agit t’il de simples portraits photographiques de militants comme les consignes initiales du défi l’implicitaient ? Il n’est pas besoin d’être grand spécialiste de culture visuelle pour remarquer la grande diversité des propositions iconiques des militants, sympathisants et de leurs amis ou familles .
Plusieurs genres culturels s’y trouvent déclinés dont certains sont outillés par les technologies de création d’images comme les logiciels de retouche photographique. Certaines propositions reprennent, en effet, l’esthétique dite « photoshop » qui consiste à utiliser une photo préexistante ou prise pour l’occasion et d’y accoler un texte déclaratif sur les motifs de son vote. Les animaux familiers ou les intérieurs sont souvent convoqués et parfois mis en scène comme supports énonciatifs. Un photographie met en image une cuisine et des produits ménagers redécorés par des autocollants du Front de Gauche pour illustrer la nécessité de « faire un grand ménage ». Nicolas Sarkozy. Ou encore cette photo d’un chat pris dans sa corbeille dans laquelle a été placé un carton affichant « je vote pour écrire un nouveau chat-pitre de l’histoire. »
D’autres images sont créées par détournement de leur dénotation comme par exemple des grues de chantier ou de course de ski par l’ajout de phrases déclaratives « Je vote pour les ouvriers, je vote pour que l’on remonte la pente. »
Autre genre rencontré, la « photo de famille » où un groupe, couples ou bandes d’amis, se met en représentation pour afficher ses intentions de vote.
Les premiers modèles suggérés dans l’énoncé du défi de se représenter avec un pancarte, suivant le répertoire d’action de la manifestation, ont été assez peu répliqués et d’emblée les propositions sont allées dans le sens d’une interprétation personnelle des consignes.
Une interprétation personnelle qui suppose de recycler des genres et des pratiques éprouvées dans d’autres domaines.
C’est le cas des messages déclinant l’esthétique des diaporamas. Genre négligé – mis à part par les fokloristes du web qui minimisent par là même la portée sociale de leur confection et de leur circulation par le biais du réseau social des boites mails – ces diaporamas reconduisent les usages de la blague de bureau ou du genre discursif de la brève de comptoir. Or les diaporamas sont un support d’expression politique ordinaire où parfois se rencontre un humour déplacé à l’égard des femmes et des étrangers. Le contenu habituel du diaporama est ici réécrit dans une version militante avec ces exemples à la typographie typique privilégiant les anglaises : « Je vote pour la résistance et la révolution citoyenne. »
Les créations infographiques sont assez peu représentées. C’est plutôt la logique de la reconversion et de la réappropriation d’usages photographiques connus en formes d’expression militante qui est ici de mise : diaporamas, photos de familles, photoshop, portraits d’animaux servent de support à l’énonciation d’une opinion et donc d’une adhésion militante à un candidat. Des photographies prises depuis le mobile sont également envoyées depuis leur contexte de prise de vue et de position, comme ces exemples montrant une salle de cours et un tableau d’amphithéâtre en décor de fond.
La grammaire du vote : des vraies luttes sociales à la cause générique de « l’humain d’abord. »
Dans ces créations imaginées par ceux qui se revendiquent « citoyens », ce sont autant de motifs du vote qui se trouvent énoncés. Et c’est pourquoi, ces messages forment un ensemble heuristique pour documenter et comprendre comment et pourquoi l’on vote pour tel ou tel candidat, comment se forge l’adhésion à une candidature car on ne nait pas militant on le devient.
Parmi les motifs proclamés sur dans cette galerie de portraits de militants s’exprimant au travers de leurs créations personnelles, on repère la gamme des causes sociales au programme du Front de Gauche : partage des richesses, égalité entre les hommes et les femmes, droits à la santé, à la retraite, à la culture ou la fin du nucléaire. L’autre grande grammaire des intentions de vote, illustrée ici dans ces formes d’expressions visuelles et textuelles, rejoint le slogan fédérateur du front de gauche : « L’humain d’abord. » Cette cause générique est déclinée sous plusieurs éléments constitutifs : la dignité de l’homme, la fraternité, l’amour. A noter que ce sont souvent nos « compagnons d’espèce » (Donna Haraway), chiens ou chats, qui vont figurer sur ces messages génériques d’engagement. Une humanité au sens large se trouve ainsi représentée loin de l’esthétique LolCat à laquelle on serait tenté de réduire, dans un premier temps, la présence de tant d’animaux dans les propositions graphiques des « révolonautes. »
La topique du vote : lieux symboliques et décors quotidiens d’où l’on vote
Autre élément remarquable dans cet album, les lieux de prise de vue qui sont à prendre comme l’équivalent visuel de prises de positions.
Parmi les topiques du vote, on reconnait l’usine, l’école et l’université, la rue, le jardin et le pré, l’Assemblée Nationale et les terres de métissage ou encore son propre corps.
Ce qui est encore remarquable concerne les décors intérieurs, qui représentent la toile de fond majeure de ces portraits photographiques. Mais il s’agit d’une domesticité réinventée comme cadre idéal de l’amour entre personnes de même sexe ou campement d’un guerillero auquel s’identifier. Ou encore une domesticité symbolisant crûment les conditions de l’existence à l’image de cet intérieur de frigo vide. Ou enfin, une domesticité comme aire de ce qui n’est pas vraiment un jeu d’enfant, à savoir se loger dans une cabane.
A travers le choix d’un lieu symbolique – usine ou potager-, la mise en scène de son intérieur ou la transfiguration d’un objet du quotidien -télévision, balance, frigo – c’est une topique du vote qui se trouve documentée. Dans le cadre d’une anthropologie du vote, ce ne sont pas seulement les motifs de l’adhésion à un candidat, le « pourquoi l’on vote », qui est observable ici mais encore « d’où l’on vote ». A travers ces formes d’expression situées, c’est un espace politique qui se dessine avec ses lieux emblématiques et ses ilots d’utopie.
La participation politique à l’oeuvre
Ces créations qualifiées souvent de « modestes » par leurs auteurs participent des contenus générées par les utilisateurs d’internet et du mobile. Des contenus qui sont à prendre au sérieux comme des formes d’expression politique au sens où se trouvent énoncées causes d’engagement et topiques des luttes au travers d’une réinterprétations de différentes formes culturelles. Elles performent le « pouvoir-dire » à l’oeuvre sur les réseaux de communication informatisés de façon plus située que ne pourrait le proposer un dispositif participatif politique en ligne. Cette approche de l’engagement politique par le biais de l’expression numérique ordinaire avec les moyens du bord (avec « paint car je n’ai pas les moyens de me payer photoshop » comme le commente un « révolunaute ») et à l’endroit où l’on se trouve (« j’ai un petit faible pour l’aspirateur dans le coin » dit le commentaire d’un portrait « en Che » proposé par un jeune étudiant) rencontre le pragmatisme de la dernière campagne étatsunienne lors de laquelle les vidéos, leurs commentaires et leurs mashups avaient été le support de débats, de prises de position et d’attitude d’adhésions.
La conversation créative des militants
Quand on s’attache à l’espace des commentaires des photos qui s’établissent à plus d’une centaine parfois, on remarque ce que nous appelons la « conversation créative » – c’est à dire la façon dont sur les dispositifs web d’expression et de socialisation, les interactions se trouvent médiatisées par l’intermédiaire de « contenus » constitués en général de photos légendées ou d’articles de journaux ou de billets de blogs, bref de contenus réappropriés et rendus partageables.Dans le cadre de cette campagne, on peut observer une politisation de cette conversation créative soit à travers des agencements énonciatifs d’adhésion des utilisateurs de la webapp du Front de Gauche soit à travers les détournements de l’affiche de campagne qui ont déferlé sur les sites de réseaux sociaux suite à l’annonce de sa candidature par Nicolas Sarkozy.
Cette conversation créative que certains voudraient faire passer pour une viralité immanente des images et des mots sur le web est – on le voit avec les messages des militants du Front de Gauche – le fruit d’une réappropriation singulière de genres visuels et de pratiques expressives de composition et d’écriture. Une conversation dont les protagonistes ont parfois, depuis la participation au défi photographique, pris le visage de leur portrait en révolunaute devenu leur avatar.
Les « messagers de la Révolution » – comme l’énoncé du défi les désignent – ne propagent donc pas de mèmes – ces contenus soi-disants viraux – sans savoir d’où ils viendraient et ce qu’ils signifieraient.
Ils s’unissent dans le jeu proposé par cette application qui s’adresse à eux depuis l’outil numérique le plus personnel, leur téléphone portable.
Pour tout savoir sur le colloque international « Téléphone mobile et création : cinéma, vidéo, jeux, écriture, musique, applications », organisé par Laurence Allard, Laurent Creton, Roger Odin, Benoit Labourdette et l’IRCAV-Université Paris 3-Sorbonne Nouvelle, qui aura lieu du 14 juin 2012 au 15 juin 2012, INHA, 75002 : le site du colloque par ici.
[MAJ] Un formulaire d’inscription est disponible sur le site du colloque.
Article paru dans les Cahiers de la SFSIC n°17, printemps 2012 ; dans le contexte de la globalisation des mouvements de protestation entre Occupy Wall Street et les Indignés d’Europe ou d’Israël, portant parfois le masque commun de Guy Fawkes, voici l’introduction de notre article rédigé pour ce dossier en septembre 2011, et qui pointait les dimensions de la visibilité, de la scénarité, du live et du changement d’echelle des révolutions arabes et des mouvements européens (cf aussi une présentation de mars 2012 sur le mouvement Occupy dans le monde ).
« Que cela soit au sujet des dernières révolutions dans le monde arabe de janvier-février 2011 ou des émeutes anglaises d’août 2011 mais aussi originellement à propos des manifestations post- électorales de juin 2009 en Iran, un nouveau slogan semble fleurir sur internet : voici venu le temps des mobilisations 2.0, des manifestations ou des émeutes organisées par SMS ou tchat BBM, des soulèvements impulsés par Facebook et des révolutions en live sur Twitter. Ce nouveau slogan se heurte cependant à l’analyse critique de certains sociologues et chercheurs qui cherchent à tempérer les excès de la pensée magique du déterminisme technologique. Une référence revient souvent sous la plume de ces derniers, Evgeny Morozov, chercheur invité à l’Université de Stanford et auteur de notamment The Net Delusion: The Dark Side of Internet Freedom[1]. L’argument d’Evegeny Mozorov est de fait largement recevable : internet n’est pas plus naturellement une technologie de libération qu’une technologie d’oppression. Les censures des réseaux télécoms en Grande-Bretagne avec le service de tchat par les mobiles Blackberry pendant les émeutes d’août 2011 ou leur coupure intégrale en Egypte le 27 janvier 2011 montrent qu’en effet, les technologies de communication sont aisément censurables et peuvent être aussi utilisées comme technologies de surveillance pour les dictateurs. Il est dommage que cette mise en avant de l’ambivalence d’internet et de la téléphonie mobile par Morozov, par ailleurs fin connaisseur de « la face cachée » d’internet et des pratiques de censures mais aussi d’attaques des sites par des hackers d’Etat, donne lieu à une rhétorique de l’ambivalence et à un scepticisme consensuel, qui peut empêcher d’approfondir la recherche à ce sujet. L’article de Malcom Gladwell[2] a contribué à transformer ce déni du rôle de ces technologies de communication en doxa et entre ceux qui vendent la révolution 2.0 et ceux qui clament que la révolution ne sera pas twittée, il ne devrait pas être nécessaire de choisir son camp. En revanche, il est urgent de contribuer à une approche compréhensive du rôle d’internet et du mobile dans ces mouvements par le biais de recherches situées. Pour ce faire, nous avons pratiqué une ethnographie digitale en temps réel des deux révolutions de Tunisie et d’Egypte en nous situant explicitement comme un observateur lointain pouvant lire/voir en direct une révolution en marche[3]. Et ce sont ces traits de la visibilité, de la scénarité et la temporalité et du changement d’échelle globale (scability) que configurent internet et le mobile que voudrait mettre en avant cet article synthétisant des données ethnographiques du web et interrogeant in fine l’horizon comospolitique contemporain ainsi modelé par les technologies de communication. »
Comment le téléphone mobile est-il utilisé par les Etats dans le cadre de leur diplomatie ? Le cas des Etats-Unis qui, de Haïti en Guinée en passant par l’Afghanistan, se montrent, en particulier sous la houlette de la Secrétaire d’Etat ou du milliardaire Bill Gates, très actifs dans les pays pauvres, en révèle les enjeux, en termes d’influence mais également au plan économique avec la montée d’un « philanthrocapitalisme » à l’échelle mondiale.
ll s’agit d’une version de l’article publié dans les Carnets du CAP, Ministère des Affaires Etrangères, « Vers un monde 2.0 », n014, printemps-été 2011. Elle a été rédigée entre novembre 2010 et mars 2011
[MAJ] Dans le cadre du débat sur la dette aux USA et la problématique de la contribution des milliardaires étatsuniens proposée par Warren Buffet reprise dans une certaine mesure en France par Maurice Levy, voici un article du fondateur d’Ebay pour la Havard Review Buisness, daté du 01/09/2011. Dans cet article, Pierre Omidyar explicite les principes du philanthrocapitalisme, modèle hybridant profit et non profit, et qui soutient également des projets mobiles dans le monde comme nous le rappelons dans notre article.
Alors que plusieurs villes de Libye se sont libérées depuis le 24 janvier 2011 avec la première édition du New Benghazi Newspaper circulant sur internet par le biais de simples sites de partages de fichiers, des messages sur Twitter mentionnaient une campagne de SMS envoyés par Kadhafi et les comités populaires qui le soutiennent encore. Un billet du site Smart Mobs en livre quelques exemples postés par l’intermédiaire des reportages sonores sur Alive in Libya : « Libya is one tribe and the name is Libya, and please send this to all the people you know » ou encore “Please go back to work.”
Sur Twitter, on pouvait également le 24 janvier2011 lire de tes avertissements.
De fait, comme nous l’avions noté avec Olivier Blondeau en Iran en juin 2009, il est désormais impossible aux dictateurs de couper totalement les communications et le black-out égyptien a bien été ressenti comme un électrochoc pour cette raison comme nous l’indiquions dans un billet précédent. Même Mouammar Khadafi a besoin de réseaux de téléphonie mobile en état de fonctionnement qui peuvent par ailleurs être filtrés et bloqués de façon récurrente. Et c’est d’ailleurs par le biais du téléphone que le Khadafi a fait une dernière allocution à la télévision d’état et a raccroché le combiné…jusqu’à quand ?
Ceci démontre que le SMS, le téléphone mobile et internet peuvent utilisés à la fois pour oppresser et se libérer. C’est la thèse bien connue de l’ambivalence des médias que Jürgen Habermas avait développé en son temps dans sa Théorie de l’Agir Communicationnel (Fayard, 1987). C’est sur cette nature ambivalente que le scepticisme éclairé d’un analyste des usages politiques autoritaires des technologies de communication d’Evegny Morozov peut prospérer et valider l’hypothèse sur la guérilla technologique adaptative dont nous avons décrit l’ingéniosité autour de l’usage du mobile sur la place Tahrir. On peut dire avec Morozov qu’en effet « the triumphalism about recent events in the Middle East is premature. The contest is still in its early stages, and the new age of Internet-driven democratization will endure only if we learn to counter the sophisticated measures now being developed to quash it ».
Cependant cette position sceptique ne dynamise pas véritablement l’action. Et c’est pourquoi, on peut préférer la version plus pragmatique de Mary Joyce, qui a travaillé à la campagne présidentielle nouveaux médias de Barack Obama, et chercher à déplacer le curseur qui fait passer une technologie de la répression à la libération. Selon elle, 4 traits distinguent les technologies de représsion des technologies de libération : 1-Permettre d’avoir accès et diffuser des informations politiques, comme par exemple les faits de censure en Chine ; 2-Etre accessibles à un large pan de la population et non pas réservés à l’élite gouvernementale ; 3-Etre matériellement utilisables, c’est à dire non filtrées et non bloquées ; et enfin 4-Les technologies de libération doivent être protectrices des données personnelles. Et c’est dans ce sens en effet que certains agissent pour continuer à libérer la technologie.
Un front commun semble se former entre les pays frontaliers que sont la Tunisie, l’Egypte et la Libye. Dans les trois cas, comme on peut le noter dans cette carte interactive, le taux de pénétration de la téléphonie mobile est massif : 77,94 % en Libye, 66,69% en Egypte et 95,38% en Tunisie. A comparer avec l’accès à Internet de 5,5% en Libye, 24,26 en Egypte et 34,07 en Tunisie. Quant à Facebook, que l’on dote d’un rôle si crucial en Occident pour tenter d’expliquer ces manifestations, le taux de pénétration dans la population libyenne en est de 3,98 en Libye, 5,49 en Egypte et 17,55 en Tunisie. A noter que l’Egypte a gagné entre janvier 2011 et février 2011, 632 120 nouveaux comptes Facebook et que les inscriptions sur Twitter ont augmenté de 10% pendant cette période.
Depuis le 17 février 2011, des rassemblements de plus en plus violemment réprimés, ont lieu en Libye. Or, les réseaux télécoms sont régulièrement bloqués comme le montre ce graphique et les journalistes ne peuvent que difficilement aller sur le terrain. Les canaux satellites de la chaîne Al Jazeera sont eux aussi brouillés de façon récurrente, à tel point que le 21 février, a été lancé un message sur Twitter autorisant la rediffusion de ces images pour qui pouvaient la capter. Et des captures d’écran des images de la chaîne sont ainsi retransmisses sur Internet particulièrement les plus sanglantes et dramatiques d’entre elles montrant les blessés et les tués.
Malgré cette volonté d’isoler le pays des voix de communication, des images frappantes de manifestants tués par balles et des témoignages clamant le massacre qui a lieu en Libye ont peu alerter l’opinion publique internationale.
Et c’est donc encore une fois par l’intermédiaire des images prises depuis les téléphones portables que l’on a pu connaître l’ampleur de la violence meurtrière de la répresssion. Différents sites rassemblent et relaient les vidéos mobiles comme Youtube et le compte Save Libya par exemple mais aussi Crowdvoice, fondée par Esra’a Al Shafei, une activiste âgée de 24 ans vivant à Barheimou encore Alive in Libye, aidé par l’agence de presse indépendante Small News World. Un site posterous Arab Revolution agence également vidéos photos de Libye après avoir publié les images des révolutions tunisiennes et égyptiennes.
Ce sont aussi des témoignages sonores qui sont émis via le service Audioboo, qui permet de poster des messages enregistrées par téléphone sur internet via le réseau de téléphonie mobile. Le compte pour entendre à ces témoignages et récits baptisé « feb13voices » est aussi sur Twitter et @feb17voices relaie vidéos et témoignages visuels sur les massacres de Libye. Des cartes réalisées avec la fonctionnalité Google Maps ont également été créées notamment par un activiste iranien à partir des rapports postés sur Twitter dans le but de localiser sur la carte du monde les violences contre les manifestants « pro-democracy », à la manière du dispositif de cartographie Ushaihidi pour l’Egypte.
Des initiatives mises en place en Egypte comme le « Twitter phone » avec Google Voice ont repris du service avec des numéros de téléphones spécifiques et communiqués par le biais de tweets comme ici.
Suivant le même mouvement de solidarité technique transnationale que les révolutions tunisiennes et égyptiennes ont suscité, des tech savvy comme disent les anglo-saxons, histoire d »échapper au folkore hacker, ont mis en place des accès internet par modem, comme le fournisseur indépendant d’Amsterdam XS4ALL. Des hackers revendiqués comme Télécomix ont confectionné une nouvelle page de leur wiki « We rebuild« , constitué après le black-out égyptien du 28 janvier 2011, consacrée cette fois à la Libye avec un ensemble de ressources communicationnelles comme les numéros de modem, les réseaux satellites d’Al Jazeera, des sites miroirs pour conserver les vidéos mobiles des violences etc.
On peut noter ici une dimension de générativité propre à l’architecture encore ouverte d’Internet comme le définit le juriste Jonathan Zitrain dans ces différentes mobilisations politiques soutenues par la technologie. En effet, il semble que sur ce réseau ainsi architecturé de façon transnational avec des services open source, il soit encore possible de répliquer et mashuper les différents répertoires d’action de soutien logistique.
Ainsi d’un hashtag l’autre, les révolutions dialoguent par l’intermédiaire des comptes Twitter avec des retweets de solidarité, tel le compte Twitter @25janvoices, créé pour passer outre le black-out égyptien, passant des informations sur la Libye retweetées par le compte du @feb17voices dédié au mouvement libyen. La timeline publique devient ainsi le carrefour des espaces contre-publics, permettant la convergence des protestations.
On peut observer en conclusion que le mobile est devenu l’outil de prise de vues et de sons le répandu dans le monde -77% des téléphones vendus cette année étaient équipés d’un caméraphone. Images et voix qui seront ensuite relayés et transmis sur le réseau Internet. Les vidéos mobiles renvoient à des points de vue indexicaux n’ayant de sens et de crédit que parce filmés dans le ici et maintenant des manifestations. Les multiples flous et bougés confèrent un caractère de factualité incontestable à des images enregistrées par le biais de cette technologie qui fait corps avec les témoins, acteurs et victimes des répressions. Leur collecte systématisée sur différents sites produit un mouvement de changement d’échelle qui leur confère une dimension universelle.
L’ingéniosité technique de tous ceux qui s’acharnent à vouloir faire résonner le cri du peuple libyen massacré et combattre le black-out des réseaux de télécommunications ne doit pas faire oublier leur exposition même à tous les censures possibles. Dans ce contexte dramatique, des initiatives pour un internet à la fois décentralisé et sécurisé ont repris toute leur actualité comme celle d’Eben Moglen, co-fondateur de licence des logiciels libres GPL et sa Freedom Box, pour laquelle un appel à financement a été lancé.
Le téléphone mobile comme couteau suisse de la place Tahrir
Comme le rappelle Ramy Raoof dans cet article sur le rôle des télécommunications dans la révolution égyptienne, après le black-out du 27 janvier, internet et mobile ont été peu à peu réactivés. Beaucoup d’analystes mettent en avant la corrélation comme facteur accélérateur de la chute de Moubarak entre la forte proportion de jeunes dans le pays et leur fort taux d’équipement en technologies de communication dont essentiellement en téléphone portable, soit 30% de la population équipé à plus de 40% en mobile contre plus de 20% ayant accès à Internet. D’autres hypothèses mettent en avant combien c’est la décision de black-out des réseaux télécoms du 28 janvier 2011 prise par Moubarak qui a pu catalyser l’engagement de certains jeunes égyptiens aisés, comme cet ingénieur télécoms cité dans cet article du New York Times : “Frankly, I didn’t participate in Jan. 25 protests, but the Web sites’ blockade and communications blackout on Jan. 28 was one of the main reasons I, and many others,were pushed to the streets.” A noter également que l’Egypte fait partie des pays dont l’accès à Internet s’effectue d’abord par le mobile. Une récente étude a mesuré par exemple que dans ce pays, 70% des navigateurs étaient « mobile only », c’est à dire n’étaient jamais utilisés sur un ordinateur.
De fait, en plus du rôle crucial dans la diffusion transnationale en direct des images de la révolution égyptienne, de la chaîne Al Jazeera comme l’illustrent ces quelques données chiffrées, c’est également grâce au livestreaming par mobile qu’il était possible de suivre les grandes manifestations filmées en direct par les manifestants mêmes sur le site Bambuser notamment.
La force organisante de la téléphonie mobile a été également éprouvée lors des appels à manifestations et ce parfois en détournant certaines fonctionnalités et usages. Comme l’a rapporté ce jeune égyptien interrogé par la radio française France Inter le 04 janvier 2011, qui racontait comment entre deux coupures récurrentes des réseaux télécoms et de la désactivation de textos, il s’était aperçu en testant « comme ça » que des services comme celui de la messagerie instantanée des smartphones de la marque BlackBerry, connue sous le nom de « tchat BBM », fonctionnaient encore à sa grande surprise et qu’il l’avait utilisé pour donner des points de rassemblement.
Sur la place Tahrir, c’est une guérilla technologique adaptative qui a été menée notamment autour de ce hub improvisé rassemblant des cinéastes et informaticiens de profession.
Il a fallu aussi prosaïquement résoudre les problèmes de recharge de batterie et pour cela comme l’indique ce tweet, certains ont pensé à dérouter les lignes électriques des éclairages publics de la place.
On a beaucoup parlé de la place de Twitter comme espace contre-public d’information et de mobilisation internationale dans cette révolution, il a joué également via le service connexe de publication de photos prises par les mobiles, une fonction de diffusion d’images des manifestations mais aussi de la vie quotidienne pendant l’occupation de la principale scène d’action, comme cette photographie montrant une séquence de recharge de portable, le nerf de la guerre technologique.
Un autre usage inattendu du téléphone mobile dans ses fonctionnalités d’appareil photographique a surgi au moment des charges violentes contre les manifestants à dos de chameau et de l’infiltration par des policiers de la foule rassemblée le 2 février 2011. Les images de la chaîne Al Jazeera montraient l’arrestation de ces milices paramilitaires par des manifestants qui ont photographié avec leur mobile les cartes de police de ces agents. On peut retrouver ces dernières sur un set de photos postées sur Flicker ces cartes de police ainsi photographiées et collectées sur le site à la date du 2 février 2011.
Pendant ce temps là, la télévision française, tel ce reportage d’Envoyé Spécial du 3 février 2011, filmait les mobiles des manifestants et de leurs vidéos, comme nous l’avions vu faire pour la Tunisie et mentionné dans notre précédent article.
Et depuis, un nouveau genre webovisuel a même été consacré avec l’entrée en scène des « curateurs » (sic), c’est à dire d’agenceurs professionnels de playlists de vidéos ou de tweets révolutionnaires, tels que Storyful sur Youtube ou Andy Carvin sur Twitter. On peut également visionner une grande collection des vidéos de la révolution sur le site « Iam#25jan » réalisé après la chute de Moubarack.
Plus sérieusement, on a donc pu constater que du modem au satellite, du fax au twitter phone, de la traditionnelle distribution de tracts à la présence physique dans la rue malgré la répression, ce sont à la fois toutes les technologies anciennes et nouvelles mais aussi les répertoires d’action de l’émeute au cryptage des communications, qui sont entre les mains des égyptiens, dont l’action courageuse n’appartient qu’à eux-mêmes mais dont nous pouvons être, en tant que citoyens solidaires, les soutiens actifs en partageant avec eux arsenal d’action et histoire de l’émancipation. Et qui aura soutenu les manifestants jusqu’au départ de Hosni Moubarak le 11 février 2011.